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Turquie: nombreuses inconnues après l'appel à la paix d'Öcalan


Vendredi 28 février 2025 à 15h51

Istanbul, 28 fév 2025 (AFP) — L'appel jeudi du chef kurde Abdullah Öcalan à tourner la page de la lutte armée après quarante ans de guérilla laisse de nombreuses questions en suspens, sur ses conséquences politiques en Turquie et le statut des Kurdes, qui représente 20% environ de la population du pays.

Le message du fondateur du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), emprisonné depuis 26 ans, signe l'aboutissement du dialogue entamé en octobre par les autorités turques, qui n'ont publiquement rien promis en échange.

- Quel gain pour Öcalan?

Une libération du détenu de 75 ans, emprisonné depuis 1999 sur une île au large d'Istanbul, semble peu probable au vu des menaces de vengeance pesant sur lui. "En revanche, il pourrait voir son régime carcéral largement assoupli et son isolement levé", estime Bayram Balci, du Ceri-Sciences Po à Paris.

"Mais il n'est pas envisageable qu'il puisse se rendre dans le village de ses parents dans le sud-est", affirme le chercheur selon lequel le ressentiment est encore trop vif. Quatre décennies de guérilla ont fait plus de 40.000 morts.

Au plan idéologique, assure l'historien Hamit Bozarslan, de l'EHESS à Paris, Abdullah Öcalan "a pris acte que le PKK était né dans un contexte particulier, aujourd'hui révolu. Mais il est clair que la dissolution du PKK ne signifie pas la fin de la question kurde: il a insisté sur la démocratisation de la Turquie".

En revanche, poursuit-il, "il n'a pas fait ce que la Turquie attendait de lui, à savoir dénoncer le terrorisme et annoncer la fin de la terreur".

- Pourquoi maintenant?

Pour Berk Esen, politiste à l'université Sabanci d'Istanbul, ces pourparlers indirects avec le PKK - via le parti prokurde DEM, troisième force au parlement - répondent d'abord à une préoccupation domestique.

Après sa lourde défaite aux municipales de mars 2024, "il est devenu clair qu'à moins de changements significatifs", le président Recep Tayyip Erdogan et son parti AKP au pouvoir depuis 2002 risquaient de perdre les prochaines élections, dont la présidentielle en 2028, explique-t-il.

Avec l'ascension du populaire maire d'opposition d'Istanbul, Ekrem Imamoglu, redoutée par le chef de l'Etat, "il s'est senti contraint de prendre des mesures", notamment pour obtenir le soutien du DEM, estime-t-il.

Par ailleurs, Ankara espère obtenir du nouveau pouvoir en Syrie l'expulsion des combattants turcs du PKK présents dans le nord-est, à sa frontière, au côté des Forces démocratiques syriennes (FDS).

- Quels gains pour le président Erdogan? -

La menace militaire du PKK sur le territoire turc est réduite à néant, mais "la persistance de la guérilla maintenait une forme d'insécurité plus politique que réellement sécuritaire", estime Boris James, historien spécialiste des Kurdes, qui évoque un "échange de capital symbolique" entre M. Öcalan et le chef de l'Etat.

Bayram Balci voit ainsi la possibilité pour M. Erdogan de rallier des députés prokurdes dans la perspective d'une réforme de la constitution qui lui permettrait de se présenter à la présidentielle de 2028.

Il pourrait envisager "une sorte de pacte de non-agression avec le parti DEM en échange de quelques concessions sur les droits culturels et linguistiques des Kurdes", avance également Hamish Kinnear, analyste du cabinet d'intelligence économique Verisk Maplecroft.

- Et pour les Kurdes?

Tout au long des négociations avec M. Öcalan, le gouvernement a accentué la répression: une dizaine de maires prokurdes du DEM ont été destitués et des centaines d'arrestations conduites pour "terrorisme".

"M. Erdogan a fait miroiter la perspective d'une paix tout en maintenant une campagne répressive et sécuritaire", relève Anthony Skinner, directeur de recherche chez Marlow Global. "Je m'attends à ce que ça continue jusqu'à ce qu'il obtienne des conditions aussi favorables que possible".

Sedat Yurtdas, du Centre de recherche sociale du Tigre (DITAM), à Diyarbakir (sud-est), affirme que cette campagne "visait des politiques considérés comme proches du PKK à Qandil", région du nord de l'Irak où sont repliés une partie de ses combattants. Il estime que, désormais, elle sera probablement utilisée comme menace envers ceux qui s'opposent à l'appel (de M. Öcalan) ou ne le soutiennent pas ouvertement".

Pour toute réponse, le porte-parole du parti AKP au pouvoir, Ömer Çelik, a déclaré vendredi que "quel que soit son nom, l'organisation terroriste (le PKK, NDLR) et ses extensions en Irak et en Syrie doit déposer les armes et se dissoudre", affirmant que l'Etat turc se refusait à tout "marchandage".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.