Samedi 12 juillet 2025 à 15h34
Istanbul, 12 juil 2025 (AFP) — Le président turc a cherché à rassurer son pays sur le processus de paix en cours avec la guérilla kurde du PPK mais l'incompréhension demeure, d'autant que la répression s'abat sur l'opposition et les voix dissonantes.
"La Turquie a gagné! 86 millions de citoyens ont gagné" a affirmé samedi Recep Tayyip Erdogan devant son parti AKP (islamo-conservateur).
"Nous savons ce que nous faisons, personne ne doit s'inquiéter", a-t-il insisté au lendemain d'une cérémonie symbolique dans le nord de l'Irak, qui a vu une trentaine de combattants du Parti du Travailleurs du Kurdistan (PKK), en lutte armée contre Ankara depuis 1984, brûler leurs fusils.
Le processus de paix initié en octobre dernier par l'allié nationaliste du gouvernement, le MHP, avec le parti prokurde DEM, troisième force au parlement, suscite autant d'espoir que de méfiance.
"L'adieu aux armes du PKK assure que non seulement la question kurde, mais tous les problèmes de la Turquie, seront résolus par des moyens démocratiques", a salué le DEM, médiateur entre Ankara et le fondateur du PKK, Abdullah Öcalan, 76 ans, détenu sur une ile au large d'Istanbul.
En revanche, reflétant l'état d'esprit de nombreux Turcs qui ne manquent pas de rappeler les 50.000 morts du conflit, le chef du parti ultra nationaliste de la Victoire, Ümit Özdag, a dénoncé un accord avec un "tueur d'enfants", comme il qualifie M.Öcalan.
"Nous sommes confrontés à un nouveau processus de trahison: un tueur d'enfant est invité au Parlement tandis qu'une loi hostile vise l'opposition" a-t-il écrit sur X, après avoir passé six mois en détention pour "insulte au président".
"Personne ne peut remettre en question mon nationalisme, mon patriotisme ou l'amour de l'AKP pour la Turquie" a martelé samedi M. Erdogan, comme en écho.
- "bien plus autoritaire" -
"Depuis le début du processus, la Turquie est devenue un pays bien plus autoritaire", relève le politiste Berk Esen. "Le désarmement d'une organisation terroriste devrait, ou pourrait, mener à une démocratisation et à la paix sociale, mais (...) ce ne sera probablement pas le cas" indique-t-il à l'AFP.
Le professeur à l'Université Sabanci d'Istanbul en veut pour preuve les très nombreuses arrestations de maires et de responsables du parti CHP (social-démocrate), première force d'opposition, dont celle en mars du principal rival de M. Erdogan pour la présidence, le maire d'Istanbul Ekrem Imamoglu, toujours détenu.
Depuis, des centaines de proches de municipalités tenues par le CHP et leurs édiles ont été interpellés et placés en détention donc ceux, récents, d'Antalya, Adana ou Adiyaman (sud) ou encore l'ancienne équipe municipale d'Izmir.
Le motif invoqué de "corruption", toujours le même, est systématiquement nié par les intéressés.
Simultanément, la répression a frappé plusieurs médias d'opposition, comme la chaine Sôzcü, condamnée au silence après seize amendes et suspensions d'antenne depuis janvier, "une tous les quinze jours" relevait son directeur, Ozgur Cakmakci, mardi soir, à l'extinction des feux.
M. Cakmakci dénonce "l'autoritarisme croissant du pouvoir (qui) réduit et réduit encore les espaces médiatiques".
"Aucune voix dissidente n'est tolérée. Une seule voix doit être entendue, celle souhaitée par le pouvoir" renchérit la présentatrice, Senem Toluay Ilgaz.
Halk TV, la télévision du CHP menacée du même sort, a obtenu sept jours de sursis.
"L'intention de liquider les chaînes d'opposition dans le cadre d'un projet autoritaire ne fait guère de doute", dénonce Erol Onderoglu, le représentant turc de Reporters sans Frontières.
Si le CHP, fondé par Mustafa Kemal Atatürk, père de la République turque, est dans le viseur du gouvernement c'est qu'après avoir emporté la majorité des villes en mars 2024, il est donné en tête par tous les sondages, juge M. Esen qui accuse M. Erdogan de "fragmenter l'opposition".
Le DEM, partenaire du gouvernement dans le processus engagé avec le PKK, se garde de condamner les arrestations et atteintes aux droits de l'opposition, poursuit-il. De même, le parti dont les deux ex coprésidents - Selahattin Demirtas et Figen Yüksekdagç - sont condamnés à 42 et 30 ans de prison n'a pas rejoint la contestation soulevée par l'arrestation de M. Imamoglu.
"Depuis le début j'ai regardé ces négociations avec ÖCalan comme une initiative pour renforcer le gouvernement (...) et obtenir le soutien des électeurs kurdes" au président Erdogan, conclut Berk Esen.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.