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Turquie: le principal parti de l'opposition sous la pression de la justice


Dimanche 29 juin 2025 à 05h02

Ankara, 29 juin 2025 (AFP) — La justice turque pourrait décider lundi d'annuler le congrès du principal parti de l'opposition, le CHP, une tentative du gouvernement pour mettre sous pression la formation qui a initié une grande vague de contestation en mars, estiment des experts.

Lors d'une audience lundi, le tribuna d'Ankara pourrait déclarer "la nullité absolue" du congrès du CHP (Parti républicain du peuple, social démocrate) pour "fraude", destituant ainsi Özgür Özel, le leader actuel du parti élu lors de ce rassemblement en novembre 2023.

Une enquête avait été ouverte en février 2025 sur des allégations de corruption lors du congrès où des délégués auraient voté pour la nouvelle direction en contrepartie des bénéfices, ce que dément le CHP.

Plusieurs figures du CHP, dont le maire d'Istanbul emprisonné Ekrem Imamoglu, risquent jusqu'à trois ans de prison et une interdiction politique pour "fraude", selon les médias turcs.

En cas de "nullité absolue" du congrès, le leadership du CHP pourrait alors revenir à l'ancien président Kemal Kiliçdaroglu, remplacé par Özgür Özel après avoir perdu les présidentielles de 2023 face au président Recep Tayyip Erdogan.

- Une opposition contrôlée -

"Il s'agit d'une tentative de redessiner le CHP et de créér une opposition contrôlée par un gouvernement de plus en plus autoritaire", estime Berk Esen, professeur de Sciences politiques à l'université Sabanci d'Istanbul.

"Cela provoquera une division au sein du parti, en mettant en poste un leader faible, défait, et dont l'électorat ne veut plus", ajoute-t-il.

M. Kilicdaroglu a affirmé être prêt à revenir à la tête du CHP par la décision de justice, provoquant un tollé au sein du parti.

"Il est hors de question de ne pas reconnaître un verdict. Serait-il mieux si un administrateur était nommé à la tête du parti?", a-t-il lancé, affirmant par la même occasion qu'il désapprouvait les manifestations organisées par le CHP après l'arrestation du maire d'Istanbul.

"J'éprouve un profond sentiment de trahison. Je ne peux tolérer ces propos alors que tant de personnes sont en prison", a réagi le maire emprisonné d'Istanbul Ekrem Imamoglu.

"M. Kilicdaroglu est un politicien qui laissera un très mauvais souvenir. Certains l'accusent de travailler pour l'AKP au pouvoir. Je pense plutôt qu'il a une ambition sans limite. Il collabore avec un pouvoir autoritaire pour restaurer son règne", déplore Berk Esen.

Une vague de contestation avait sécoué le pays après l'arrestation de M. Imamoglu, ainsi que de plusieurs autres élus CHP pour des charges de corruption, ce que dément le CHP, en mars dernier.

Orateur et tribun efficace, le leader actuel du CHP Özgür Özel est depuis devenu la figure de proue de l'opposition turque, rompant avec son prédécesseur.

M. Özel a entraîné des dizaines de milliers de gens dans les rues d'Istanbul, d'Ankara, la capitale, et de nombreuses villes du pays, s'attirant les foudres du pouvoir.

Sous sa direction, le CHP est également arrivé en tête des élections municipales de 2024, avec 37,8% des votes.

- Messages conciliants -

"Le retrait du CHP de la rue est crucial du point du vue du gouvernement. La performance de M. Özel est considéré comme un danger", estime Eren Aksoyoglu, expert en communication politique.

"M. Kilicdaroglu au contraire donne des messages conciliants envers le pouvoir, affirmant qu'il ne veut plus des manifestations et qu'il est prêt à négocier un changement de constitution", ajoute-t-il.

"Cela met le CHP dans une position où il négocie avec le gouvernement plutôt que de lutter contre lui", affirme Berk Esen.

Une opposition plus conciliante assurerait à M. Erdogan un champ de manoeuvre plus large dans le processus de paix en cours avec le PKK (le Parti des travailleurs du Kurdistan, organisation armée considéré commme terroriste par Ankara) ainsi que pour changer la constitution dans l'espoir de se présenter une troisième fois aux présidentielles, notent les observateurs.

Le chef de l'Etat turc a besoin de l'opposition pour changer la constitution, car, même avec le parti de son allié Devlet Bahceli, il reste en dessous du seuil de 400 députés nécessaires pour un changement direct au parlement et de 360 pour le soumettre à un référendum.

"Je ne pense pas que M. Kiliçdaroglu puisse rester à terme à la tête du CHP. Mais si le processus s'étale par exemple sur un an, cela permettrait au gouvernement de modifier la constitution. Ce serait un désastre total pour l'opposition", estime Berk Esen.

"On peut alors s'attendre à une nouvelle vague de contestation. Cela aura bien sûr des conséquences économiques et politiques pour le pouvoir qui compte poursuivre cette politique jusqu'au bout", ajoute-t-il.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.