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Turquie: le parti prokurde sous pressions avant les législatives


Mardi 27 octobre 2015 à 09h13

Istanbul, 27 oct 2015 (AFP) — Bête noire des jihadistes et du gouvernement, le principal parti prokurde de Turquie est contraint de mener une campagne discrète à quelques jours des élections législatives anticipées de dimanche, gêné aux entournures par la reprise du conflit kurde.

Il y a cinq mois, le charismatique chef de file du Parti démocratique des peuples (HDP) paradait sur les estrades devant des milliers de partisans enthousiastes.

Dimanche, Selahattin Demirtas s'est contenté d'un menu politique des plus allégés. Un thé avec une poignée d'ouvriers sur un chantier à l'aube, une omelette avec des étudiants à la mi-journée, puis un discours devant quelques centaines de partisans entassés dans une salle de conférences mal éclairée d'Istanbul.

"C'est une période très difficile pour notre parti, nous devons faire face au gouvernement et à Daech (acronyme arabe du groupe Etat islamique)", explique Emin Ergin, un militant de 67 ans. "Je suis kurde et j'ai connu les dictatures", confie-t-il, "mais pour la première fois de ma vie, je ne suis pas rassuré en allant à un meeting".

Après celui qui avait déjà visé un de ses meetings à Diyarbakir le 5 juin, l'attentat qui a tué le 10 octobre à Ankara 102 militants de gauche et de la cause kurde lors d'une "marche pour la paix" a bouleversé la campagne du HDP.

Dans la foulée, le parti a annulé tous ses rassemblements de masse, remplacés par des "rencontres" en lieux clos, préalablement inspectés par des chiens renifleurs.

Depuis cet attentat qui porte la marque jihadiste, M. Demirtas ne retient plus ses coups. D'ordinaire mesuré, il accuse le gouvernement islamo-conservateur d'avoir délibérément négligé la sécurité du rassemblement d'Ankara et le président Recep Tayyip Erdogan de diriger un "Etat tueur en série".

Le régime et le HDP sont à couteaux tirés depuis les législatives du 7 juin.

En décrochant 80 sièges de députés et près de 13% des suffrages, le mouvement de M. Demirtas a mis fin au contrôle absolu que le Parti de la justice et du développement (AKP) du président Erdogan exerçait au Parlement depuis treize ans.

- 'Au bord de la guerre civile' -

"Il (Erdogan) conçoit la politique comme un pouvoir personnel. il se voit comme le chef religieux d'un califat", a lâché dimanche M. Demirtas.

En retour, le chef de l'Etat et son Premier ministre sortant Ahmet Davutoglu reprochent au HDP d'être les "complices " de "ceux de la montagne", où se trouve l'état-major du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Depuis l'attentat de Suruç (sud), attribué aux jihadistes, qui a tué 34 jeunes militants de la cause kurde fin juillet, le PKK a repris ses attaques meurtrières contre l'armée et la police, symboles d'un Etat qui a selon lui négligé la sécurité de la population kurde.

Et même si M. Demirtas répète que le HDP n'est pas la "vitrine politique" du PKK, la reprise du conflit kurde, qui a fait 40.000 morts depuis 1984, a fragilisé sa position. Les rebelles l'ont même embarrassé en décrétant une trêve jusqu'au 1er novembre afin, ont-ils plaidé, de ne pas "gêner" sa campagne.

"+Traîtres à la patrie+, +ennemis de la nation+. Vous remarquez qu'ils (le pouvoir) ne parlent jamais de nous comme des adversaires politiques", dit M. Demirtas. "Ils ont poussé la Turquie au bord de la guerre civile, au point où des gens se haïssent".

"Ils le salissent parce qu'ils sont jaloux", estime Kenan Oztürk, 24 ans, qui soutient le HDP. "L'arbre qui donne des fruits finit toujours par être caillassé", philosophe-t-il. "Les autres hommes politiques sont encore dans le passé. Selahattin Demirtas, lui, est proche de nous", renchérit Rabia Aktürk, une jeune militante de 22 ans.

Malgré un environnement difficile, le HDP espère confirmer sa percée de juin et même améliorer son score. Les sondages le créditent de 12 à 14% des intentions de vote.

Sous l'impulsion de M. Demirtas, le parti a élargi sa base au-delà de la seule défense de l'autonomie kurde. Il s'est transformé en une formation de gauche moderne, qui défend "toutes les minorités" et se pose en "seule vraie alternative" à l'AKP.

S'il espère passer la barre des 100 députés, l'avocat de 42 ans ne s'attend pas à former "un nouveau gouvernement alternatif après le 1er novembre". "Mais nous allons franchir une nouvelle étape", répète-t-il, "grandir et nous rapprocher de notre but".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.