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Turquie: le leader prokurde Demirtas maintenu en détention


Jeudi 7 decembre 2017 à 18h59

Sincan (Turquie), 7 déc 2017 (AFP) — Un tribunal turc a décidé jeudi de maintenir en détention le leader prokurde Selahattin Demirtas, farouche opposant du président Recep Tayyip Erdogan, au premier jour de son procès pour activités "terroristes", qui inquiète les défenseurs des droits de l'homme.

M. Demirtas, 44 ans, a été arrêté avec une dizaine d'autres députés du Parti démocratique des peuples (HDP) le 4 novembre 2016, alors que les purges lancées après le putsch manqué de juillet 2016 s'étendaient aux milieux pro-kurdes.

Ce co-président du HDP, accusé notamment de diriger une "organisation terroriste", de "propagande terroriste" et d'"incitation à commettre des crimes", risque jusqu'à 142 ans de prison.

La première audience du procès s'est tenue dans le complexe pénitentiaire de Sincan, près d'Ankara. M. Demirtas n'y était pas présent : la cour avait ordonné qu'il comparaisse par visioconférence depuis sa prison d'Edirne (nord-ouest), mais il a refusé de se plier à cette mesure, selon le juge.

Les avocats de M. Demirtas ont contesté devant le tribunal les charges retenues contre leur client, affirmant qu'il ne s'était livré qu'à des activités politiques légales, selon une correspondante de l'AFP dans la salle d'audience.

Ils ont ainsi réclamé l'abandon des poursuites et la remise en liberté de M. Demirtas, mais le tribunal a rejeté cette demande et ordonné son maintien en détention.

La prochaine audience a été fixée au 14 février.

"J'ai été incarcéré sous prétexte que je me dérobais à la justice, mais depuis 13 mois c'est elle qui me fuit", a réagi après l'audience M. Demirtas, dans un message posté sur son compte Twitter par des proches.

Au fronton "des palais de justice, le mot justice a été complètement effacé. Il ne reste que le Palais", a-t-il poursuivi, faisant allusion au Palais présidentiel.

- Raisons politiques -

Les autorités turques accusent le HDP d'être la vitrine politique du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation classée "terroriste" par Ankara et ses alliés occidentaux.

Mais le parti a toujours rejeté ces allégations et affirme être visé pour des raisons politiques, du fait de son opposition énergique au président Erdogan.

Plusieurs centaines de personnes s'étaient rassemblées devant le tribunal pour manifester leur soutien à M. Demirtas. "Le seul crime de Demirtas, c'est d'avoir été l'opposant d'Erdogan", a témoigné une manifestante.

Outre les avocats, une centaine de personnes assistaient à l'audience à laquelle des représentants de missions étrangères n'ont pas été autorisés à accéder, selon une source diplomatique.

Neuf députés du HDP sont actuellement en prison, selon les chiffres du parti. Cinq de ses 59 députés élus en novembre 2015 ont également été déchus de leur mandat, dont sa co-présidente Figen Yüksekdag, également incarcérée.

L'arrestation des députés du HDP a été rendue possible par la levée en mai 2016 de l'immunité parlementaire des députés faisant l'objet de poursuites judiciaires, une mesure largement décriée par le HDP qui y voyait une manoeuvre du gouvernement pour l'évincer.

- 'Saboter l'opposition' -

A la lumière de ces éléments, il est "difficile de ne pas conclure que le procès contre (Demirtas) n'est rien d'autre qu'une initiative politiquement motivée du gouvernement turc pour saboter l'opposition parlementaire", estime Hugh Williamson, de Human Rights Watch.

Le procès qui s'est ouvert jeudi recouvre 31 dossiers fusionnés par les autorités judiciaires. C'est dans le cadre de ce procès que M. Demirtas a été placé en détention préventive il y a maintenant près de 400 jours.

Depuis son arrestation, M. Demirtas, contre lequel une centaine de procédures judiciaires ont été engagées, n'a encore jamais pu comparaître devant un tribunal.

Le HDP a dénoncé en novembre une lettre qui aurait été envoyée par le ministère de la Justice à tous les tribunaux qui poursuivent actuellement M. Demirtas, les appelant à ne pas lui permettre de se présenter physiquement devant eux.

Avec M. Demirtas en prison, le HDP perd son principal atout au moment où le pays se prépare à d'importantes élections municipales, législatives et présidentielle en 2019: cet avocat de formation, parfois surnommé l'"Obama kurde", a transformé le parti en une formation de gauche moderne et progressiste, séduisant bien au-delà du seul électorat kurde.

Le HDP avait créé la surprise aux législatives de juin 2015, raflant 80 sièges et privant ainsi le Parti de la justice et du développement (AKP, au pouvoir) de la majorité absolue. Mais lors de nouvelles élections convoquées en novembre de la même année, le HDP avait perdu 21 députés.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.