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Turquie : la politique kurde d'Erdogan fragilisée par les récents attentats


Mercredi 13 septembre 2006 à 16h10

ISTANBUL, 13 sept 2006 (AFP) — Les séparatistes kurdes de Turquie ont, en multipliant leurs attentats au cours des derniers mois, fragilisé la position du gouvernement, partisan d'un règlement démocratique du conflit kurde, et renforcé celle des nationalistes turcs, estimaient mercredi les analystes.

En août 2005, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, issu de la mouvance islamiste, promettait au cours d'un discours historique à Diyarbakir, la principale ville du Sud-Est anatolien peuplé en majorité de Kurdes, que la vieille question kurde ne serait réglée qu'avec "plus de démocratie".

Un an plus tard, les opérations armées du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans la région ont gagné en intensité, parallèlement à des attentats dans l'ensemble du pays revendiqués par les Faucons de la liberté du Kurdistan (TAK), une organisation assimilée par les autorités au PKK.

Rien qu'en 2006, les combats dans le Sud-Est ont fait 104 morts dans les rangs du PKK et 75 dans ceux des forces de sécurité, tandis que 17 attentats tuaient 22 personnes et en blessaient 200, la seule explosion survenue mardi soir à Diyarbakir ayant fait dix morts, dont sept enfants.

Les autorités n'ont pas pour l'instant fait de commentaires sur les auteurs de ce dernier attentat, mais la police soupçonnait le PKK, qui a pour sa part nié toute implication.

Ces attaques sont autant d'occasion pour les tenants de la manière forte de manifester avec de plus en plus de véhémence leur opposition à la politique gouvernementale.

Dimanche, deux gardes du corps de M. Erdogan ont été blessés à Sögüt (Nord-Ouest) par des manifestants nationalistes qui protestaient violemment contre la décision prise quelques jours plus tôt d'envoyer des troupes turques au Liban alors que les troubles se poursuivent dans le Sud-Est.

Le même leitmotiv a été entendu au sein l'opposition sociale-démocrate et dans la bouche du président Ahmet Necdet Sezer, adversaires acharnés du gouvernement islamo-conservateur de M. Erdogan, qui ont dénoncé à mots couverts une volonté supposée de détourner les forces armées turques de leur mission.

"Les capacités de l'armée turque (dans sa lutte contre le PKK) ont été diminuées par le rêve fou du gouvernement d'une adhésion de la Turquie à l'Union européenne, qui ne se réalisera jamais", estimait mercredi Altemur Kiliç, éditorialiste au quotidien islamo-nationaliste Turkiye, enfourchant un cheval de bataille cher aux nationalistes turcs depuis l'ouverture en octobre 2005 de négociations d'adhésion entre Ankara et l'UE.

"Mais je pense qu'une nouvelle ère s'ouvre", a poursuivi le journaliste chevronné, interrogé par l'AFP. "M. Türk (Ahmet, président d'un parti pro-kurde qui a appelé lundi les rebelles kurdes à un cessez-le feu) peut demander au PKK de baisser les armes, il est trop tard".

Pour Oral Calislar, du quotidien de centre-gauche Cumhuriyet, céder aux sirènes du nationalisme serait pourtant précisément le piège dans lequel la Turquie ne doit pas tomber.

"Le PKK veut provoquer l'armée et créer un regain de nationalisme avec ces bombes pour aggraver la crise jusqu'à lui donner une dimension internationale", estime-t-il, alors que les généraux eux-mêmes seraient selon lui pour le moment "prêts à chercher une solution politique au problème kurde".

A huit mois de l'élection d'un nouveau président et à 14 mois des législatives, c'est surtout au gouvernement de résister à la tentation du nationalisme, complète le politologue Cengiz Aktar, qui dénonce une dérive déjà amorcée.

"J'espère que le gouvernement va comprendre qu'il doit redevenir le fer de lance du changement et regrouper derrière lui les forces réformatrices et libérales de Turquie", affirme-t-il.

Le conflit kurde en Turquie a fait plus de 37.000 morts depuis le début de l'insurrection déclenchée par le PKK en 1984.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.