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Turquie: Kemal Kiliçdaroglu, l'homme qui veut détrôner Erdogan


Dimanche 21 mai 2023 à 05h02

Istanbul, 21 mai 2023 (AFP) — Il est l'anti-Recep Tayyip Erdogan, qu'il a réussi à ébranler au premier tour de la présidentielle et se rêve en sauveur d'une démocratie turque abîmée par deux décennies de pouvoir sans partage.

Kemal Kiliçdaroglu, candidat d'une opposition unie, a cependant encore fort à faire pour l'emporter dimanche 28 mai face président turc qui, à ce stade, semble inamovible.

Au premier tour du scrutin, le chef du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) a obtenu 44,9% des voix, contre 49,5% pour M. Erdogan, quand même contraint pour la première fois à un second tour.

Face au chef de l'Etat, tribun maniant volontiers l'invective, l'ancien haut fonctionnaire de 74 ans a durci le ton cette semaine sur le sort des réfugiés et la question toujours brûlante du terrorisme, rompant avec le style volontairement apaisé de sa campagne du premier tour dans une tentative de séduire l'électorat nationaliste.

Le candidat, qui a longtemps pâti d'une image d'homme d'appareil dépourvu de charisme, développait jusqu'ici sa vision lors de meetings collégiaux et, surtout, dans des vidéos faites maison postées chaque soir sur les réseaux sociaux.

Cette stratégie semblait fonctionner, tant les sondages le donnaient en bonne posture. Mais les résultats du premier tour ont eu l'effet d'une douche froide.

- "Bay Kemal" -

"J'apporterai le droit et la justice à ce pays. J'apporterai l'apaisement", martelait le rival d'Erdogan, promettant "le printemps".

Le premier opposant au président sortant, silhouette menue et fine moustache blanche, s'est aussi posé en "Monsieur Propre" de la politique turque, dénonçant depuis des années la corruption qui gangrène selon lui les sommets de l'Etat.

Une fois président, promet-il, il paiera ses factures d'eau et d'électricité et préférera le palais présidentiel historique de Çankaya au fastueux palais de 1.100 pièces érigé par M. Erdogan sur une colline boisée d'Ankara.

Kemal Kiliçdaroglu s'engage aussi à ne pas confisquer le pouvoir: après avoir "restauré la démocratie" et limité les pouvoirs du président, il rendra son tablier pour s'occuper de ses petits-enfants, assure-t-il.

Depuis qu'il a pris la présidence du CHP, fondé par le père de la Turquie moderne Mustafa Kemal Atatürk, il a transformé la ligne du parti en gommant notamment son image très laïque.

Fin 2022, il a ainsi proposé une loi pour garantir le droit des femmes turques à porter le foulard, offrant des gages à l'électorat conservateur.

Le candidat, né dans une famille modeste de la province historiquement rebelle de Tunceli (est) à majorité kurde et alévie, a voulu en parallèle séduire les Kurdes, dont beaucoup le surnomment affectueusement "Piro", comme on évoque un grand-père ou un chef religieux alévi en langue kurde.

Au cours de la campagne, il a bousculé un tabou en évoquant dans une vidéo devenue virale son appartenance à l'alévisme, une branche hétérodoxe de l'islam que certains sunnites rigoristes jugent hérétique.

Le président Erdogan l'affuble du surnom "Bay Kemal" ("Monsieur Kemal"), en utilisant pour s'en moquer le terme "bay" traditionnellement réservé aux étrangers.

- Patient -

Cet économiste de formation, nommé à la tête de la puissante Sécurité sociale turque dans les années 1990, a jusqu'ici été jugé inapte à remporter une élection.

Mais la double victoire en 2019 de candidats du CHP aux élections municipales à Istanbul et Ankara, revers inédit pour Recep Tayyip Erdogan et son parti, lui est due pour beaucoup.

C'est fort de ce succès qu'il est parvenu cette année à unir derrière lui six formations de l'opposition et à s'adjuger en prime le soutien du principal parti prokurde.

Il s'est entouré pour faire campagne des très populaires maires CHP d'Istanbul et d'Ankara, Ekrem Imamoglu et Mansur Yavas, qu'il veut nommer vice-présidents en cas de victoire et vient de reconfigurer son équipe autour d'Imamoglu en vue du second tour.

A chacun de ses meetings, Kemal Kiliçdaroglu a adressé à ses partisans, les yeux plissés de malice, un "coeur avec les doigts" devenu signe de ralliement.

Mais ce symbole affectueux, et ses promesses de relever l'économie, n'ont pas suffi pour devancer le président sortant.

Kemal Kiliçdaroglu aime cependant à se présenter en homme patient et tenace. Deux qualités qu'il devra encore mobiliser jusqu'au 28 mai s'il espère battre son rival.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.