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Turquie: Erdogan fait le pari risqué de la paix avec les Kurdes


Mercredi 20 mars 2013 à 16h17

ANKARA, 20 mars 2013 (AFP) — En acceptant de discuter avec le "terroriste" honni Abdullah Öcalan, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan s'est engagé à mettre un terme au conflit kurde, un pari risqué mais qui pourrait faire de lui, selon les analystes, le "Lincoln de la Turquie".

Concrétisation de plusieurs mois de tractations, le chef historique du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui purge depuis 1999 une peine de réclusion à perpétuité dans son île-prison d'Imrali (nord-ouest), doit annoncer jeudi pour les fêtes du Nouvel an kurde (Newroz) un cessez-le-feu unilatéral de ses troupes.

Depuis le coup d'envoi fin 2012 de ces pourparlers, le Premier ministre a réaffirmé sa détermination à faire définitivement taire les armes après vingt-neuf ans d'un conflit qui a fait plus de 45.000 morts depuis 1984.

"Je suis prêt à boire du poison pour y parvenir", répète M. Erdogan depuis des semaines. "Nous avons promis à toutes les mères qui souffrent en Turquie, (...) que nous allons régler cette question", a-t-il encore lancé mardi devant les députés de son Parti de la justice et du développement (AKP).

En quelques mois, son ton a radicalement changé. En 2010, le chef du gouvernement islamo-conservateur promettait de "noyer dans le sang" les rebelles qui avaient tué onze soldats turcs. En novembre dernier encore, il agitait la menace d'un retour de la peine de mort pour Abdullah Öcalan. Aujourd'hui le chef rebelle s'est imposé comme un interlocuteur incontournable.

Pour de nombreux observateurs, les nécessité de la démocratisation interne de la Turquie et les conséquences des changements politiques survenus chez ses voisins ont convaincu le dirigeant turc de renoncer aux armes.

Les Kurdes d'Irak disposent désormais d'une large souveraineté et ceux de Syrie ne masquent plus leurs velléités d'autonomie. "Pour des raisons idéologiques, Erdogan croit pouvoir gérer le processus en s'appuyant sur le principal point commun qui unit les Turcs et les Kurdes, l'islam", juge Nihat Ali Ozcan, de l'université privée TOBB d'Ankara.

En prenant à bras le corps la question kurde, le chef du gouvernement turc répond aussi à tous ceux qui critiquent les failles démocratiques de son pays. La Turquie est régulièrement épinglée pour le nombre de journalistes ou d'étudiants incarcérés dans ses prisons en liaison avec la question kurde.

Risques

"Le problème kurde est une épine dans le pied de la Turquie", relève Sirri Sakik un influent député kurde, "sans solution au problème kurde, la Turquie ne pourra jamais être considérée comme une véritable démocratie".

D'autres enfin, notamment dans l'opposition, voient dans son ouverture kurde un calcul politique. En pleine discussion sur la future Constitution, M. Erdogan échangerait la reconnaissance de droits aux Kurdes contre le soutien de leurs députés à un renforcement des pouvoirs du président, un mandat qu'il souhaite briguer en 2014.

"Il veut rentrer dans les annales de l'Histoire en devenant l'homme qui a réglé la question du PKK", estime également M. Demirtas, "comme ça, il pourra se vanter aux prochaines présidentielles en se présentant comme le candidat de la paix".

Le pari du Premier ministre est risqué, notent toutefois les observateurs qui font état de l'opposition d'une partie de l'opinion à tout dialogue avec le chef du PKK.

"Si tout ceci est fait pour de petits calculs, des bénéfices électoraux ou la présidence, le processus de paix" n'avancera pas d'un pouce", met en garde Oguz Ender Birinci, rédacteur en chef du quotidien pro-kurde Ozgur Gundem.

Le Premier ministre "doit utiliser cette rare chance (de paix) avec précaution", écrivait lundi Murat Yetkin dans Hürriyet Daily News. "S'il réussit à convaincre qu'une solution au problème kurde est sur les rails et que le conflit peut s'achever, alors il a une chance d'être le Lincoln (ardent partisan d'une politique de réconciliation entre le Nord et le Sud des Etats-Unis au 19ème siècle) de la Turquie".

"Si Erdogan échoue, il pourrait au contraire rester dans l'histoire comme le Gorbatchev de la Turquie", le président de la dissolution de l'Union soviétique, note M. Ozcan.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.