
Mercredi 14 avril 2010 à 09h01
DIYARBAKIR (Turquie), 14 avr 2010 (AFP) — Huit mois après l'annonce de "mesures courageuses" du gouvernement turc en faveur des Kurdes, des responsables de cette communauté disent leur déception, dénoncent des arrestations en nombre et mettent en garde contre de nouvelles violences.
"Il y a des dizaines d'arrestations chaque jour. Depuis 1990, je n'ai pas vu une telle répression", affirme à l'AFP Meral Danis Bestas, numéro deux du parti pro-kurde BDP (Parti de la paix et de la démocratie), dans son cabinet d'avocate à Diyarbakir (sud-est de la Turquie).
Depuis un an, plusieurs centaines de personnes, dont de nombreux élus, ont été arrêtées dans les villes kurdes, accusées de liens avec les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Les arrestations se sont accélérées en décembre, alors que le plan gouvernemental dit d'"ouverture démocratique" en faveur des Kurdes disparaissait de l'actualité.
"Cette répression accrue a entraîné un accroissement des départs vers la montagne", ajoute Mme Bestas, sans préciser l'ampleur de ce mouvement vers les bases du PKK.
"Maintenant qu'on arrête tous les politiciens, il est impossible que ceux de la montagne déposent les armes", ajoute-t-elle.
Considéré comme un mouvement terroriste par de nombreux pays, le PKK lance des attaques contre les forces turques à partir du nord de l'Irak. Le conflit a fait au moins 45.000 morts en un quart de siècle.
Pour tenter de tirer un trait sur cette "sale guerre" et saper le soutien au PKK chez les 12 à 15 millions de Kurdes de Turquie (sur 71 millions d'habitants), le gouvernement a promis en août des "mesures courageuses".
La presse turque a aussi évoqué l'annonce de propositions du chef toujours incontesté du PKK, Abdullah Öcalan, emprisonné à vie.
Mais rien n'est sorti au grand jour de sa prison et les propositions du gouvernement, annoncées en novembre, se sont limitées à l'usage de la langue kurde et à la création de commissions de défense des droits de l'homme.
Enfin, l'"ouverture démocratique" a fait long feu lorsque la Cour constitutionnelle a prononcé en décembre la dissolution du principal parti pro-kurde DTP.
Le BDP a pris le relais du DTP, mais cette interdiction a été suivie d'émeutes dans les villes kurdes.
"L'ouverture démocratique, pour nous, ça ne veut rien dire. L'ouverture, c'est d'arrêter les morts, aussi bien les jeunes dans les montagnes que les jeunes dans l'armée", affirme Ramazan Akcicek, maire du quartier des "450 maisons", près de Diyarbakir, où vivent des milliers de paysans kurdes chassés de leurs villages par la guerre.
"Les gens qui pourraient être utiles sont arrêtés et les autres ne parlent pas", dit une habitante du quartier, tandis que, de la cour d'école proche, on entend garçons et filles crier comme chaque matin d'une seule voix: "Je suis Turc! Je suis honnête! Je suis travailleur!"
"L'ouverture démocratique, ce n'est pas nécessairement un paquet de lois, c'est un processus sur la durée", plaide au contraire Baki Aksoy, numéro un à Diyarbakir du parti gouvernemental AKP, au pouvoir depuis 2002.
Reconnaître la culture, la langue "dans un pays où on a nié l'identité kurde pendant 81 ans, c'est déjà quelque chose", ajoute-t-il.
Nombre d'observateurs estiment ainsi que, si l'"ouverture démocratique" a raté son but, un tabou a bel et bien sauté: aujourd'hui, on parle librement des Kurdes en Turquie.
"Lorsqu'un gouvernement veut vraiment changer les choses dans un domaine aussi lourd, il doit agir dans les trois premiers mois de pouvoir", estime pour sa part le président de la Chambre de commerce de Diyarbakir, Galip Ensarioglu.
"Et il doit être prêt à prendre le risque de perdre les élections".
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.