Jeudi 27 février 2025 à 17h03
Diyarbakir, 27 fév 2025 (AFP) — Dans le sud-est de la Turquie, un père pleure son fils policier, enlevé et tué dans le nord de l'Irak par des combattants kurdes du PKK et une mère, sa fille de 17 ans tombée en 2016 sous les balles de l'armée turque.
A quelques dizaines de kilomètres de distance dans cette région à majorité kurde, entre Diyarbakir et Mardin, l'AFP a recontré deux familles kurdes endeuillées parmi des milliers d'autres par quatre décennies d'une guérilla qui a fait au moins 40.000 morts.
Depuis l'automne, une reprise de dialogue soutenue par le président Recep Tayyp Erdogan avec le chef historique du PKK, Abdullah Öcalan, emprisonné depuis vingt-six ans et qui pourrait appeler à déposer les armes, a laissé entrevoir l'espoir d'une issue négociée au conflit.
Dans sa maison de Diyarbakir, la plus grande ville à majorité kurde du pays, Fahriye Cukur, 63 ans, fixe la photo de sa fille Rozerin en uniforme: alors qu'elle se rendait en centre-ville, la lycéenne a été prise dans les échanges de tirs entre le PKK et les forces de sécurité.
La trêve conclue en 2015 avait volé en éclats, déchainant une flambée de violences qui a embrasé le sud-est.
Ce jour de janvier 2016, se souvient la mère, le couvre-feu sur Sur, le vieux centre de Diyarbakir, avait été levé pour quelques heures quand les combats ont éclaté.
"Des tas de gens se sont retrouvés bloqués dont ma fille qui s'est réfugiée chez un couple de personnes âgées.. quand elle a voulu sortir, elle a été abattue par un sniper" se souvient Fahriye.
La famille a appris la nouvelle à la télévision.
- "confondue avec une combattante" -
Pendant des mois, les familles ont organisé rassemblements et grèves de la faim pour réclamer les corps de leurs proches. Son père, Mustafa, a récupéré celui de Rozerin en juin.
Selon sa mère, les autorités ont confondu sa fille avec une combattante du PKK connue par son nom de code, "Roza" et l'ont accusée d'être allée s'entrainer dans les montagnes.
"Ma fille n'a jamais été engagée, elle aimait l'école et voulait devenir psychiatre, aider son peuple", dit-elle en montrant l'insigne de la République turque sur son uniforme.
Aujourd'hui elle attend le message d"Öcalan.
"Nous n'oublions pas ce qui s'est passé mais on espère. J'ai deux autres enfants, qui sait ce qui va leur arriver demain?"
En janvier, l'International Crisis Group relevait le niveau de violence entre le PKK et l'armée en Turquie était tombé à son plus bas niveau depuis 2015.
"On commence à respirer" après une décennie sous pression, confirme Fahriye. "Je veux la paix, que le bain de sang cesse... Je veux un cessez-le-feu et je ne suis pas la seule".
- "ça suffit" -
Dans la province voisine de Mardin, Sehmuz Kaya, 67 ans, évoque son fils policier, enlevé par le PKK dans l'est de la Turquie en juillet 2015.
Son fils, se trouvait en civil, précise-t-il, en voiture avec son frère et quatre autres personnes lorsque les combattants ont bloqué la route: "Ils n'ont enlevé que Vedat. Des mois plus tard nous avons reçu la première vidéo tournée dans les montagnes de Kandil", les montagnes du nord de l'Irak où sont retranchés les combattants du PKK.
La famille a tout essayé, auprès de l'État et du parti prokurde pour obtenir sa libération. Mais six ans plus tard elle a reçu un appel fatal du gouvernement: leur fils comptait parmi les treize "martyrs de Gara", une région du nord de l'Irak où douze policiers et un soldat turcs venaient d'être tués par le PKK.
"J'étais dévasté... ces gens sont sans foi ni conscience. Mon fils voulait juste gagner sa vie". souffle le père qui affirme que son fils a été torturé avant d'être exécuté.
Les photos du jeune homme sont accrochées aux murs avec le drapeau turc, un parc voisin porte son nom.
Aujourd'hui, Sehmuz souhaite la paix mais n'a pas confiance.
"Ils ne sont pas honnêtes" estime-t-il à propos du parti prokurde DEM qui mène les négociations entre Öcalan et le gouvernement, et qu'il suspecte de liens avec le PKK. "Les familles des martyrs ont le coeur brisé, ça suffit... Nous soutenons tous le processus, mais nous voulons quelque chose de concret".
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.