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Trois journalistes turcs interpellés après un article sur le procureur d'Istanbul


Dimanche 9 février 2025 à 15h43

Istanbul, 9 fév 2025 (AFP) — Trois journalistes du quotidien turc de gauche BirGün ont été interpellés puis entendus par la police en vertu de la législation antiterroriste, avant d'être relâchés, à la suite d'un article consacré au procureur général d'Istanbul, a annoncé dimanche le journal.

Cette interpellation, "motivée par un article critiquant +l'impartialité du procureur+, est injustifiée" et donc "inacceptable", a dénoncé sur X Erol Önderoglu, de Reporters sans frontière (RSF).

Les journalistes Ugur Koç et Berkant Gültekin, qui travaillent pour l'édition en ligne de BirGün, ainsi que le directeur de la rédaction Yasar Gökdemir, sont soupçonnés de s'en être pris à des personnes "engagées dans la lutte contre le terrorisme", a précisé sur X le rédacteur en chef de BirGün, Ibrahim Varli.

Ils ont été interpellés à leur domicile, puis transportés au tribunal stambouliote de Caglayan. Une centaine de manifestants s'y étaient rassemblés pour les soutenir, en brandissant des pancartes proclamant "BirGün ne se taira pas", ou "le journalisme n'est pas un délit", a constaté un correspondant de l'AFP.

Selon M. Varli, les enquêteurs reprochent aux trois interpellés d'avoir relaté la rencontre entre un journaliste du quotidien pro-gouvernemental Sabah et le procureur général d'Istanbul, Akin Gürlek - rencontre qui avait pourtant été évoquée dans les colonnes de Sabah.

"Ils tentent d'intimider la presse et la société par des enquêtes et des arrestations", a déploré M. Varli.

Plusieurs enquêtes judiciaires ont été ouvertes ces derniers mois à propos d'articles ou de commentaires sur le procureur d'Istanbul. Ont ainsi été visés Ekrem Imamoglu, le maire de la mégapole et figure de l'opposition au président Erdogan, mais aussi l'an dernier le président du parti d'opposition CHP, Özgür Özel.

Les trois interpellations survenues samedi soir constituent une "honte sans précédent", a fustigé sur X M. Özel.

Les autorités turques s'en prennent régulièrement à des journalistes, des avocats ou des élus, avec une augmentation du nombre de cas depuis quelques semaines.

Trois journalistes travaillant pour la télévision de l'opposition turque Halk TV ont ainsi été arrêtés fin janvier. Il leur est reproché d'avoir diffusé un entretien, réalisé à son insu, avec un expert judiciaire désigné dans une enquête visant le maire Imamoglu.

Deux de ces journalistes ont bénéficié d'une libération conditionnelle, mais le rédacteur en chef Suat Toktas est toujours détenu.

L'actrice Melisa Sözen, qui a joué le rôle d'une combattante kurde dans la série française à succès "Le Bureau des Légendes", a également été entendue cette semaine par la police, pour des soupçons de "propagande terroriste", selon l'agence DHA et la chaîne de télévision Halk TV. Cette enquête, déclenchée par le procureur d'Istanbul, se référait à l'uniforme qu'elle portait dans la série, et qui serait similaire à celui des combattants kurdes syriens des YPG, qu'Ankara considère comme affiliés au Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK).

En 2024, l'organisation Reporters sans Frontières (RSF) a placé la Turquie au 158e rang sur 180 de son classement sur la liberté de la presse, soulignant que "le pluralisme des médias est plus que jamais remis en cause. Tous les moyens sont bons pour affaiblir les plus critiques".

Selon l'ONG turque MLSA, qui se consacre à la défense de la liberté d'expression, au moins 30 journalistes et collaborateurs de médias sont emprisonnés et quatre assignés à résidence en Turquie. L'an dernier, cette organisation a suivi 281 procès relatifs à la liberté d'expression impliquant 1. 856 prévenus, dont 366 journalistes.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.