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"Terroristes" ou partenaires ? Ankara et Washington divisés sur les Kurdes de Syrie


Vendredi 27 mai 2016 à 20h32

Antalya (Turquie), 27 mai 2016 (AFP) — "Terroristes" pour les uns, rempart contre l'EI pour les autres: la Turquie et les Etats-Unis s'opposent diamétralement sur l'attitude à adopter face aux combattants kurdes de Syrie, un sujet qui empoisonne les relations entre ces deux partenaires clés de l'Otan.

"Hypocrisie", "deux poids, deux mesures", "inacceptable"... Le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu a lâché ses coups vendredi contre les Etats-Unis, dont des militaires ont été photographiés par l'AFP dans le nord de la Syrie arborant l'insigne des Unités de protection du peuple (YPG), une milice kurde considérée comme "terroriste" par Ankara.

Le Pentagone a reconnu la présence à des fins de "conseil et d'assistance" de militaires américains dans la province de Raqa, fief du groupe Etat islamique situé dans le nord de la Syrie, où les Forces démocratiques syriennes (FDS), un groupe composé de combattants kurdes et arabes, ont lancé une offensive majeure contre les jihadistes.

La Turquie considère les YPG comme étroitement liées au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui mène depuis 1984 une rébellion meurtrière sur son sol, et les accuse d'avoir commis des attentats à Ankara.

Washington considère cependant les YPG comme l'un des groupes les plus efficaces pour affronter l'EI au sol. Les combattants kurdes, dont les YPG, se sont forgé une réputation de redoutables fantassins en chassant notamment les jihadistes de la ville de Kobané l'année dernière.

"Les Etats-Unis voient les YPG comme un acteur local avec qui coopérer en Syrie, alors que la Turquie les considère - à juste titre - comme les partenaires du PKK en Syrie", a résumé pour l'AFP Ozgür Unlühisarcikli, du German Marshall Fund, pour qui "il est improbable que les deux camps surmontent leurs différends dans un avenir proche".

- Chacun sa guerre -

"Il est inadmissible que des soldats des Etats-unis (...) utilisent l'insigne d'un groupe terroriste", a dénoncé M. Cavusoglu lors d'une conférence de presse à Antalya, dans le sud de la Turquie. "Nous leur recommandons de porter des badges de Daech (acronyme arabe de l'EI), du Front Al-Nosra lorsqu'ils sont ailleurs en Syrie, et de Boko Haram lorsqu'ils vont en Afrique", a-t-il ironisé.

Dans un geste d'apaisement, les militaires américains photographiés ont été priés d'ôter l'écusson des YPG, a indiqué depuis Bagdad le colonel Steve Warren, porte-parole américain de la coalition internationale anti-EI.

Au-delà de cet incident, le soutien de Washington aux combattants kurdes risque de provoquer sur le long terme une "érosion de la confiance mutuelle", a dit à l'AFP Soner Cagaptay, du centre de réflexion Washington Institute, pour qui les différences de vue entre les deux alliés s'expliquent par des objectifs stratégiques différents en Syrie.

"La Turquie et les Etats-Unis mènent deux guerres différentes en Syrie : Washington contre l'EI et Ankara contre (le président syrien) Assad", explique M. Cagaptay. "Tant que cela sera le cas, les deux pays continueront d'être en désaccord au sujet des alliances à nouer en Syrie".

Longtemps accusée de soutenir des éléments radicaux opposés au président syrien, la Turquie a rejoint la coalition internationale anti-EI et met à la disposition des bombardiers de plusieurs pays sa base aérienne d'Incirlik (sud).

Mais en parallèle, la Turquie, laquelle ne fait "aucune différence" entre les groupes "terroristes", continue de voir dans les YPG une menace pour ses intérêts.

M. Cavusoglu a critiqué une approche basée sur "+une organisation terroriste que je peux utiliser et une autre que je ne peux pas+". "Nous, nous sommes contre toutes les organisations terroristes", a-t-il dit.

Invoquant régulièrement la fable du "Scorpion et la Grenouille", le président turc Recep Tayyip Erdogan estime que les groupes "terroristes" finissent toujours par "piquer" ceux qui les soutiennent.

Jeudi, la présidence turque avait déploré la décision de plusieurs pays européens, dont la France et l'Allemagne, d'autoriser le Parti de l'union démocratique (PYD), aile politique des YPG, à ouvrir des antennes sur leur sol.

Si le PKK figure sur la liste des organisations terroristes des Etats-Unis et de l'Union européenne, ces derniers ont jusqu'ici refusé d'y ajouter les YPG, malgré les demandes répétées d'Ankara.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.