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Syrie: Trump clame victoire mais Erdogan remporte la mise


Jeudi 17 octobre 2019 à 23h39

Washington, 17 oct 2019 (AFP) — Accusé d'avoir laissé la Turquie attaquer les alliés kurdes des Etats-Unis en Syrie, Donald Trump a finalement obtenu jeudi un accord qui lui permet de calmer le jeu à court terme, mais qui est aussi dénoncé comme une capitulation face aux revendications turques.

Après onze jours de soubresauts, le vice-président américain Mike Pence a affirmé avoir arraché un "cessez-le-feu" au chef de l'Etat turc Recep Tayyip Erdogan après plus de quatre heures de tractations à Ankara. C'est qu'il était venu chercher, à la demande du président des Etats-Unis.

Les autorités turques ont toutefois contesté la qualification de "cessez-le-feu", qui ne figure pas dans la déclaration conjointe américano-turque.

"Pence et Erdogan ont conclu un accord qui permet aux deux parties de clamer victoire auprès de leurs électeurs respectifs", dit à l'AFP Nicholas Danforth, expert au German Marshall Fund of the United States.

De fait, Donald Trump a immédiatement salué un "grand jour pour la civilisation" et, plus modestement, pour les Etats-Unis, la Turquie et les Kurdes. "Nous avons obtenu tout ce dont nous aurions pu rêver", s'est-il enthousiasmé.

Signe qu'il est partiellement parvenu à ses fins, au moins sur la scène politique américaine, le sénateur Lindsey Graham, à la tête de la fronde dans son propre camp républicain, a applaudi de "réels progrès". Une déclaration qui semble éloigner le spectre des sanctions "infernales" que cet allié de la Maison Blanche voulait imposer à Ankara.

- Le projet turc "ratifié" -

Concrètement, la Turquie s'est engagée à suspendre pendant cinq jours son offensive lancée le 9 octobre dans le nord de la Syrie, pour permettre aux forces kurdes de se retirer d'une "zone de sécurité" d'une profondeur de 32 km le long de la frontière turque. L'opération prendra définitivement fin si ce retrait est bien réel à l'expiration du délai.

"Les Etats-Unis viennent de ratifier le projet de la Turquie visant à repousser sa frontière de 30 km à l'intérieur de la Syrie, sans être en mesure d'influencer de manière significative les événements sur le terrain", a résumé, cinglant, l'ex-émissaire américain pour la lutte antijihadiste Brett McGurk, qui a démissionné en décembre lorsque le président Trump avait amorcé le retrait militaire américain.

Cette "zone de sécurité" était une vieille revendication du président Erdogan, qui accuse de "terrorisme" les miliciens kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) et redoute de voir un embryon d'Etat kurde aux portes de la Turquie alimenter les aspirations séparatistes dans son pays.

Or, avant l'offensive du 9 octobre, Américains et Turcs avaient entamé l'instauration d'une telle zone tampon en menant des patrouilles conjointes. Selon l'accord américano-turc, les troupes d'Ankara seront maintenant en première ligne pour y faire régner l'ordre, les forces américaines ayant quitté les lieux.

Car entretemps, la donne a été totalement bouleversée.

Et pour nombre d'observateurs, c'est Donald Trump qui a permis ce séisme, en laissant le champ libre à Recep Tayyip Erdogan pour lancer son attaque. Un feu vert de facto qui s'est concrétisé par le retrait des troupes américaines des abords de la frontière puis, face à l'avancée turque, de tout le nord syrien.

- "Tête dans le sable" -

Washington doit maintenant convaincre les forces kurdes syriennes, "tenues à l'écart des négociations", de se retirer en "renonçant à leur territoire le long de la frontière turque", estime Nicholas Heras, du cercle de réflexion Center for a New American Security.

"Erdogan n'aurait pas pu demander davantage à Trump."

L'administration américaine martèle que ses sanctions contre la Turquie ont fait plier Ankara. Elle a promis de les abroger dès que le "cessez-le-feu" sera permanent.

Donald Trump peut aussi se targuer d'avoir tenu, bien que dans la précipitation, sa promesse de désengagement d'une des "guerres sans fin" qu'il ne cesse de dénoncer.

Mais aux yeux de plusieurs experts, l'accord de jeudi ne permet pas de revenir sur les coups portés par sa décision aux objectifs de la politique syrienne des Etats-Unis. A commencer par le risque de résurgence du groupe jihadiste Etat islamique (EI).

Pour Nicholas Heras, "les Américains se mettent la tête dans le sable s'ils pensent que les forces arabo-kurdes vont accepter" de continuer "la campagne anti-EI".

Aussi grave, selon Nicholas Danforth: Moscou, adversaire stratégique de Washington, reste plus que jamais maître du jeu syrien. "Le sort des Kurdes" tout comme "l'avenir de l'incursion militaire de la Turquie en Syrie dépendront de la Russie, qui a soutenu l'armée syrienne pour reprendre le contrôle des territoires abandonnés par les forces américaines", dit-il.

Ironie de l'Histoire, la trêve actée jeudi par les Turcs prendra fin mardi, au moment même où le président Erdogan rencontrera en Russie son homologue Vladimir Poutine.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.