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Syrie: Minbej, ex-fief jihadiste, dans le viseur de la Turquie


Lundi 19 mars 2018 à 20h18

Beyrouth, 19 mars 2018 (AFP) — Minbej risque de devenir la prochaine grande poudrière du conflit syrien, la Turquie menaçant de diriger l'offensive qu'elle mène depuis deux mois contre une milice kurde vers cette ville où sont stationnées des troupes américaines.

Cette cité de la province d'Alep (nord) est située à une trentaine de kilomètres de la frontière turque.

- Rebelles, jihadistes, Kurdes -

Minbej comptait en 2011, avant le début de la guerre en Syrie, 120.000 habitants, tous sunnites, dont une majorité d'Arabes, un quart de Kurdes, et une petite minorité de Turkmènes.

Les rebelles syriens s'en sont emparés en 2012, avant que la ville ne tombe sous la coupe du groupe Etat islamique (EI) en 2014.

Minbej a été un carrefour clé sur le principal axe permettant aux jihadistes de faire transiter hommes, armes et argent entre la Turquie et leurs zones de contrôle en Syrie.

La ville a été qualifiée par les Etats-Unis de "plaque tournante" de l'EI vers l'Europe, où le groupe extrémiste a revendiqué plusieurs attentats meurtriers.

En 2016, les Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance kurdo-arabe appuyées par les frappes de la coalition internationale antijihadistes dirigée par les Etats-Unis, coupent les routes reliant Minbej aux zones contrôlées par l'EI, avant de s'emparer de la ville.

Les FDS remettent alors la ville à un conseil civil et Minbej devient un refuge pour des milliers de déplacés fuyant les combats contre l'EI.

- 'Zone tampon' des Américains -

Des troupes américaines restent à Minbej après la défaite des jihadistes face aux FDS.

Au même moment, l'EI perd aussi du terrain dans des zones autour de Minbej au profit des forces gouvernementales syriennes appuyées par la Russie au sud, et des rebelles proturcs au nord.

Cette situation place les troupes américaines à Minbej au centre d'une zone tampon de facto entre factions adverses.

En mars 2017, le Pentagone annonce que des renforts militaires sont déployés près de Minbej pour éviter que la situation ne s'envenime autour de cette ville.

La présence de troupes américaines provoque la colère d'Ankara. Les dirigeants américains "nous ont dit +Nous ne resterons pas à Minbej+. Alors pourquoi vous restez? Allez, partez!", déclare en février le président turc Recep Tayyip Erdogan.

- Visée turque -

Les FDS sont dominées par les Unités de protection du peuple (YPG), une milice syrienne kurde considérée par Ankara comme l'extension "terroriste" des séparatistes kurdes du PKK, actifs en Turquie depuis 1984.

Quelques semaines seulement après la prise de Minbej par les FDS, Ankara lance une opération militaire en Syrie baptisée "Bouclier de l'Euphrate". Elle vise notamment à empêcher les YPG de contrôler une bande de territoire continue le long de la frontière turco-syrienne.

Selon des experts, c'est la prise de Minbej à l'EI et surtout la volonté affichée des Kurdes syriens d'avancer vers l'ouest qui a précipité l'intervention turque.

Le 20 janvier, la Turquie et des combattants alliés syriens lancent une autre opération militaire en Syrie, baptisée "Rameau d'olivier". Elle vise les YPG dans la région d'Afrine.

Ces forces chassent les YPG de la ville d'Afrine le 18 mars. M. Erdogan promet alors d'élargir l'offensive "jusqu'à la destruction totale du corridor constitué de Minbej, Aïn al-Arab (nom arabe de Kobané), Tal Abyad, Ras al-Aïn et Qamichli", dans le nord syrien.

- Clash entre alliés ? -

En février, les Etats-Unis et la Turquie ont convenu de travailler "ensemble" à la recherche d'une solution pour Minbej, en mettant en place un "mécanisme de travail" conjoint.

Mais avec le limogeage du chef de la diplomatie américaine Rex Tillerson, il n'est pas clair si cet accord reste en vigueur et sera appliqué.

Un assaut turc sur Minbej risquerait de provoquer un affrontement sans précédent entre les deux puissances de l'Otan.

Minbej "est maintenant une poudrière pour deux alliés de l'Otan au sujet d'un acteur infra-étatique, les YPG", résume Aaron Stein, analyste à l'Atlantic Council.

Selon lui, les menaces d'Erdogan ne devraient pas être prises à la légère.

Les Turcs "vont trouver une manière d'y aller, peut-être en forçant les Américains à faire des concessions (...)", dit-il à l'AFP.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.