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Sur un campement de migrants du Nord, le choc et la peur d'être envoyé au Rwanda


Mardi 23 avril 2024 à 14h05

Loon-Plage (France), 23 avr 2024 (AFP) — "Je pensais que l'humanité comptait pour ces gens": le choc et la désillusion dominent mardi sur le campement de migrants de Loon-Plage (Nord), quelques heures après l'adoption au Royaume-Uni d'un projet de loi permettant d'expulser vers le Rwanda des demandeurs d'asile entrés illégalement.

"Ils vont vraiment renvoyer les gens au Rwanda ?", interroge, incrédule, Sultan, tout juste informé de l'adoption dans la nuit de lundi à mardi de ce projet de loi très controversé par le Parlement britannique.

Cet Afghan de 20 ans aux traits juvéniles, qui a quitté son pays après le retour des talibans au pouvoir en 2021, avait entendu parler de ce projet du gouvernement conservateur. "Mais je ne le prenais pas au sérieux. Je pensais que l'humanité comptait pour ces gens", lâche-t-il entre deux rires nerveux.

Assis sur un trottoir défoncé par la végétation, il se lève quand arrive un autre homme, interloqué. En ce milieu de matinée, l'information ne circule pas encore sur le campement. Sultan lui explique en quelques mots de dari et souligne: "On peut tous être envoyés au Rwanda, d'où qu'on vienne."

"Qu'est-ce qu'on est censés faire maintenant? Où est-ce qu'on peut aller ?", s'emporte son ami, avant de s'éloigner. "Tout le monde est choqué", résume Sultan, le regard dans le vague, désabusé.

- "Je préfère mourir en Europe" -

"Je veux seulement être libre, et on veut m'envoyer au Rwanda ? Mais le Rwanda n'est pas mieux que mon pays !", s'émeut à quelques mètres de là Sagvan Khalid Ibrahim, Kurde irakien de 29 ans, arrivé sur le campement en décembre. Il a déjà tenté à deux reprises de traverser la Manche, sans succès.

"Je préfère mourir en Europe qu'être envoyé au Rwanda", assure-t-il, laissant deviner un sourire derrière son épaisse barbe rousse.

Il revient de l'une des cuves entourant le campement, où il a rempli une bouteille. Les réfugiés viennent ici pour boire et se laver à l'eau froide, entre une route qui se termine en impasse et un chemin boueux et accidenté, façonné par les centaines de passages quotidiens.

C'est là qu'est assis Ebrahim Hamit Hassou, Kurde syrien de 25 ans, qui achève de se brosser les dents. Lui aussi découvre l'adoption du projet de loi britannique.

A peine l'information digérée, il réfléchit à voix haute: "S'il y a vraiment un risque d'être envoyé au Rwanda, je crois que je n'irai pas en Angleterre. Le Rwanda, on ne sait même pas si c'est un pays sûr, il y a trop de problèmes."

Mais, souligne-t-il, "ce n'est pas possible de rester ici", sur un campement où, arrivé depuis trois jours, il ressent déjà le manque d'eau et de nourriture. "Alors, si j'apprends qu'il y a un espoir (de ne pas être envoyé au Rwanda), j'irai en Angleterre."

- "J'irai en Irlande" -

Beaucoup, autour de lui, espèrent que ce projet de loi sera avant tout un effet d'annonce, visant à effrayer les candidats à la traversée de la Manche, mais trop difficile à mettre en application.

Si ce n'est pas le cas, Hamid, un Afghan de 30 ans, pense avoir la solution: "J'irai en Irlande", sourit-il. "J'attends que la mer soit meilleure, et je tenterai" une traversée en direction de l'Angleterre. Puis, de là, "je rejoindrai un ami à Dublin".

Après avoir atteint un record en 2022 (45.000) puis baissé en 2023 (près de 30.000), le nombre de personnes ayant traversé clandestinement la Manche à bord de canots de fortune a augmenté de plus de 20% depuis le début de l'année par rapport à l'an dernier.

Les drames, eux aussi, s'accumulent: mardi matin, cinq migrants, dont une fillette, sont morts au niveau de la plage de Wimereux (Pas-de-Calais). Au total, au moins quinze personnes ont perdu la vie en tentant de traverser la Manche depuis le début de 2024, selon un comptage de l'AFP. C'est d'ores et déjà plus qu'en 2023.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.