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Sur le "stand de tir" irakien, la "révolution" des drones iraniens et turcs


Jeudi 1 octobre 2020 à 10h10

Souleimaniyeh (Irak), 1 oct 2020 (AFP) — L'utilisation de drones par Ankara et Téhéran contre les Kurdes dans les montagnes du nord de l'Irak constituent une "révolution" militaire, estiment les experts, mais au sol, ils ont poussé les habitants à fuir et font redouter une flambée des tensions régionales.

"Tous les jours, on voit des drones, tellement bas qu'on les distingue à l'oeil nu", assure à l'AFP Mohammed Hassan, maire de Qandil, principal bastion du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui livre une sanglante guérilla sur le sol turc depuis 1984.

Le PKK, comme le Parti démocratique du Kurdistan d'Iran (PDK-I), ont fait du Kurdistan irakien, autonome depuis 1991, leur base arrière.

Pour Ankara et Téhéran, ils sont des groupes "terroristes" à éliminer à tout prix, quitte à frapper au-delà de leurs frontières.

Après les tirs d'artillerie depuis leur sol, depuis 2018, les deux voisins de l'Irak préfèrent désormais les drones, plus précis pour viser un ennemi qui se déplace à pied ou à bord de pick-ups dans des zones très accidentées.

L'opération "Griffes du Tigre" lancée en juin par Ankara a mis en évidence ce changement, rapportent à l'AFP experts et habitants.

Selon des militants, la fréquence des frappes est telle que des dizaines de villages se sont vidés de leurs habitants. D'autres ajoutent que des milliers de Yazidis, décimés et forcés de fuir par le groupe Etat islamique (EI) en 2014, ne rentrent pas chez eux par peur des frappes anti-PKK, un groupe présent dans leur région des monts Sinjar.

- "Révolution" -

Les drones sont une "révolution", affirme à l'AFP Nicholas Heras, de l'Institute for the Study of War.

"C'est grâce aux drones que la Turquie gagne sa guerre contre le PKK dans le nord de l'Irak", estime-t-il. Car ils permettent de localiser, d'identifier et d'éliminer des cibles en quelques minutes.

Mieux encore, ajoute Sibel Duz, experte turque des drones: la Turquie peut maintenant mener ses missions pour moins cher.

Elle a troqué ses onéreux F-16 américains contre des drones de fabrication locale comme les Bayraktar TB2, qui présentent trois avantages: meilleurs outils de surveillance, autonomie de vol de 24 heures et coût assez bas pour que leur perte soit amortie, détaille la spécialiste.

Car le PKK a abattu "sept" appareils turcs, assure son porte-parole Zagros Hiwa, rencontré dans la région de Qandil.

Mais l'apport des drones turcs, conjugué aux opérations terrestres, a changé la donne, reconnaît-il dans un entretien exclusif à l'AFP.

Les Turcs, dit-il, "ont mené des incursions jusqu'à 15 km à l'intérieur de l'Irak" et installé de nouveaux postes militaires dans la zone, créant de facto une zone-tampon à leur frontière.

Les drones inquiètent aussi les Américains.

Un observateur américain rapporte ainsi à l'AFP que les forces spéciales dépêchées par Washington pour opérer en secret dans le nord de l'Irak ont récemment vu augmenter "la fréquence et l'intensité" des frappes de drones turques.

"Les Turcs survolent des positions américaines avec des appareils militaires armés. C'est absolument inacceptable", ajoute-t-il.

- "Beaucoup plus sophistiqué -

S'agissant de l'Iran, il utilisait déjà des avions équipés de caméras lors de sa guerre contre Sadddam Hussein il y a 40 ans.

Aujourd'hui, ses drones Mohajer-6 et Shahed-129 surveillent, frappent et surtout aident les artilleurs au sol à gagner en précision, a expliqué dans une rare interview à un média iranien le colonel Akbar Karimloo, chargé des drones.

La façon dont l'Iran utilise ses drones en Irak est "beaucoup plus sophistiquée" qu'ailleurs, confirme à l'AFP Adam Rawnsley, du Foreign Policy Research Institute.

L'Irak, qui a déjà perdu deux haut-gradés dans des tirs de drones turcs, et Erbil, capitale du Kurdistan irakien, ne commentent pas officiellement. Mais, sous couvert de l'anonymat, des responsables avouent ne pas avoir de moyen de pression sur leurs voisins.

"Le problème de l'Irak, c'est que des puissances plus importantes l'utilisent comme un stand de tir", résume M. Rawnsley.

Et au sol, les victimes civiles s'accumulent sans que personne ne puisse établir un réel décompte, s'alarme Wim Zwijnenburg, de l'ONG néerlandaise PAX.

Les drones, parce qu'ils peuvent survoler les zones accidentées, tuent là où journalistes, enquêteurs des droits humains et même responsables locaux peinent à arriver.

"De quoi rendre plus obscure encore la campagne menée par les drones", déplore-t-il.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.