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Sommée par la CEDH de relâcher un leader prokurde, Ankara renâcle


Mardi 20 novembre 2018 à 16h35

Strasbourg, 20 nov 2018 (AFP) — Sommé mardi par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) de libérer "dans les plus brefs délais" le leader prokurde Selahattin Demirtas, détenu depuis 2016, le président turc Recep Tayyip Erdogan a balayé cette demande d'un revers de main.

"Les décisions de la CEDH ne nous contraignent aucunement. Nous allons contre-attaquer et mettre un point final à cette affaire", a-t-il promptement répliqué, selon des propos rapportés par l'agence de presse étatique Anadolu.

Du point de vue de la Cour, la détention prolongée de l'opposant kurde, y compris pendant "le référendum (constitutionnel de 2017, NDLR) et l'élection présidentielle" du 24 juin, poursuivait "un but inavoué prédominant, celui d'étouffer le pluralisme" en Turquie.

Elle visait à "limiter le libre jeu du débat politique, qui se trouve au coeur même de la notion de société démocratique", ont poursuivi les magistrats européens.

Du fond de sa cellule, Selahattin Demirtas a malgré tout recueilli 8,4% des voix à la présidentielle, remportée par M. Erdogan.

La cour de Strasbourg "admet" cependant que M. Demirtas, 45 ans, avait été arrêté pour des "raisons plausibles" en 2016 car les autorités turques le soupçonnaient d'avoir commis une infraction pénale. Mais les motifs invoqués pour justifier la durée de sa détention n'était, selon elle, pas "suffisants".

"Sa détention provisoire constitue une atteinte injustifiée à la libre expression de l'opinion du peuple et au droit du requérant d'être élu et d'exercer son mandat parlementaire", ont estimé les juges européens, saisis par M. Demirtas.

En conséquence, ils ont condamné la Turquie à verser 10.000 euros à Selahattin Demirtas pour dommage moral, et 15.000 euros pour frais et dépens.

Voyant dans l'arrêt de la CEDH une "reconnaissance légale de (s)on statut d'otage politique", l'intéressé a réagi via un communiqué de sa formation, le Parti démocratique des peuples (HDP), dénonçant des poursuites "menées à des fins politiques et non juridiques".

"Les procès et les accusations sur lesquelles j'ai été poursuivi se sont effondrés" et "notre lutte pour le droit et la justice continuera en toutes circonstances", a-t-il insisté.

Mais pour Recep Tayyip Erdogan, le HDP n'est autre qu'une vitrine politique du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation considérée comme "terroriste" par Ankara et les Occidentaux.

- "Propagande terroriste" -

Troisième force au Parlement, le parti a ainsi été fortement touché par les purges menées après le putsch manqué de juillet 2016. De nombreux responsables sont incarcérés ou font l'objet de poursuites judiciaires.

Selahattin Demirtas lui-même, écroué depuis novembre 2016 et condamné en septembre à 4 ans et 8 mois de prison pour "propagande terroriste", est poursuivi dans de nombreux autres dossiers et encourt jusqu'à 142 ans de prison.

Le bras de fer judiciaire qui oppose Ankara à la CEDH - contrairement aux assertions de M. Erdogan, les arrêts rendus par la CEDH ont bel et bien un caractère contraignant -, s'ajoute à une longue série de contentieux entre la Turquie et les institutions européennes.

Désireuse de renforcer son ancrage européen, la Turquie était devenue en 2016 le sixième "grand contributeur" du Conseil de l'Europe, dont la CEDH est le bras judiciaire. Elle avait ainsi porté son financement du Conseil à 33 millions d'euros par an.

Mais l'année suivante, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe avait décerné son prix Vaclav Havel à Murat Arslan, magistrat turc emprisonné dans le sillage des purges ayant suivi le coup d'Etat manqué de juillet 2016.

Visiblement ulcérée, Ankara avait annoncé peu après sa décision de renoncer à son statut de grand contributeur et de ramener sa participation au budget du Conseil à 13 millions d'euros en 2018.

La Turquie est aussi avec la Russie, la Roumanie et l'Ukraine l'une des principales pourvoyeuses d'affaires devant la CEDH qui l'a condamnée à de nombreuses reprises.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.