Page Précédente

Sa famille hors de danger, un Kurde irakien va secourir d'autres migrants en Pologne


Mardi 23 novembre 2021 à 13h17

Bialystok (Pologne), 23 nov 2021 (AFP) — Une fois sa famille hors de danger après avoir passé la frontière entre la Pologne et le Bélarus, Aras Palani ne pense pas à souffler pour autant: il passe son temps à aider les migrants coincés dans les bois à la limite orientale de l'Union Européenne.

Ayant fui, il y a vingt ans, l'Irak de Sadaam Hussein, ce Kurde au regard vif, âgé aujourd'hui de 49 ans, y laisse alors tous ses proches. Au bout d'un long périple, il s'installe en Grande-Bretagne, dont il devient citoyen.

"Depuis, j'ai essayé de faire venir ma famille à plusieurs reprises. Toujours en vain", explique-t-il à AFP, assis dans la cuisine d'un centre d'aide aux réfugiés à Bialystok, dans l'est de la Pologne, où il est devenu bénévole.

Il y a deux mois, "quand j'ai appris qu'il y avait une possibilité de passer par le Bélarus, j'ai convaincu ma famille de tenter cette voie", explique-t-il.

Aras ne savait pas que pour endiguer le flux de migrants, les autorités polonaises avaient décrété l'état d'urgence dans la zone frontalière, construit une clôture, dépêché des milliers de soldats, et verrouillé l'accès, notamment aux médias et aux organisations caritatives.

Il parvient malgré tout à pénétrer dans la partie polonaise. Sa famille, sept personnes au total, se trouve alors dans les bois du côté bélarusse.

"Le pire moment, c'était quand j'étais juste devant la clôture. Je les savais à cinq minutes à pieds. Mes enfants mouraient de faim. Et mon petit-fils pleurait au téléphone", raconte-t-il.

Aras a supplié les garde-frontières polonais de lui permettre de jeter de la nourriture et de l'eau par dessus les barbelés.

"Ils ne m'ont pas laissé faire", regrette-t-il. En revanche, ils l'ont interpellé et fait payer une amende.

- "Malmenés par la police -

Au Bélarus, sa famille a été "malmenée par la police".

"Une fois, ils ont lâché un chien sur eux. Il s'est jeté sur mon petit-fils, ma fille l'a couvert. Le chien l'a mordue à l'épaule. Elle en garde une trace de quelques centimètres, encore visible. Ils ont connu l'enfer sur terre", conclut-il.

Ses proches restent bloqués une dizaine de jours en forêt, les garde-frontières polonais et bélarusses se les renvoyant mutuellement.

"En une nuit, huit fois, ils ont joué au ping-pong avec eux, explique-t-il ému, c'était dur", ajoute-t-il.

Aujourd'hui, la famille d'Aras au complet semble enfin en sécurité. Il vient juste de rendre visite à sa fille qui se trouve, avec deux autres proches, dans un centre de réfugiés en Pologne, alors que sa femme et leur gendre, sont déjà passés en Suisse.

Son fils et son épouse continuent de se cacher dans les bois, en Pologne.

"Je leur envoie de la nourriture", sourit Aras.

- "Aras 24/7" -

Aras ne pense pas s'arrêter là.

Il a publié ses numéros de téléphones sur Facebook et, depuis, ses trois appareils ne cessent de sonner le jour et, surtout, la nuit.

Ne dormant guère, se nourrissant de café et de cigarettes, il collabore avec des ONG polonaises qui aident ceux qui ont réussi à traverser la zone interdite, en leur fournissant des habits chauds, de la nourriture, des médicaments et de l'assistance légale.

"Malheureusement, on peut aider seulement ceux qui ont réussi à traverser cette zone d'état d'urgence", déplore-t-il.

"Mon surnom est Aras 24/7. Mes téléphones et mon ordinateur restent allumés. Je suis toujours prêt à aider, expliquer, traduire. Je parle sept langues, douze si on inclut les dialectes", indique-t-il.

Les histoires de réfugiés à bout de forces coincés dans les bois, de femmes enceintes, de petits enfants sans nourriture ni médicaments, brinquebalés d'un pays à l'autre, le désespèrent.

"Le Bélarus utilise les gens comme une catapulte contre l'UE", dit-il accablé, tout accusant aussi la Pologne d'enfreindre le droit communautaire.

"Quand on entre sur le territoire de l'Union européenne, on a le droit de demander l'asile et ce n'est pas souvent respecté ici".

"J'en connais qui se trouvaient dans un hôpital en Pologne, puis qui ont été reconduits à la frontière", insiste-t-il. "Je n'ai pas pleuré pendant des années mais depuis que je suis en Pologne je pleure cinq fois par semaine".

Aras voudrait voir un jour sa famille réunie dans un seul pays. En attendant, il restera en Pologne, "tant qu'il y aura des gens qui auront besoin de moi".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.