Jeudi 2 octobre 2025 à 05h00
Ankara, 2 oct 2025 (AFP) — Sous la pression des autorités turques, de plus en plus de maires et élus d'opposition rallient le parti au pouvoir AKP du président Recep Tayyip Erdogan.
Depuis les élections locales de mars 2024 largement remportées par le CHP, premier parti d'opposition, une soixantaine de mairies tenues par différentes formations d'opposition sont passées aux mains de l'AKP (islamo-conservateur), dont sept au cours des deux derniers mois.
Dans la majorité des cas, les municipalités ont changé d'affiliation en suivant leur maire, démissionnaire pour rejoindre le parti au pouvoir, à l'image de la maire d'Aydin (ouest), Özlem Cercioglu, dont le ralliement à l'AKP a été annoncé lors d'une cérémonie par le président turc en personne.
Pour le CHP social-démocrate, ces ralliements illustrent la pression qui s'est abattue sur le parti dont de nombreux élus ont été arrêtés pour "terrorisme" ou "corruption", ce qu'ils nient, tel le populaire maire d'Istanbul, Ekrem Imamoglu, principal rival du président Erdogan, emprisonné depuis mars.
"Rejoins l'AKP ou tu seras jeté en prison. Voilà ce qu'ils disent!" a dénoncé en août le président du CHP Özgür Özel.
"La seule raison pour laquelle j'ai été arrêté et suspendu de mes fonctions est mon refus de céder aux pressions pour rejoindre l'AKP", a de son côté accusé le maire CHP de Bayrampasa - un des 39 districts d'Istanbul -, Hasan Mutlu, détenu depuis mi-septembre pour "corruption".
- "Forcés à démissionner" -
"Les maires le constatent, il n'est pas nécessaire de commettre une infraction pour être emprisonné en Turquie. On force les gens à témoigner contre eux", assure à l'AFP le vice-président du CHP Murat Bakan. "Certains maires, aux convictions plus solides et plus combatifs, résistent. Mais d'autres, par peur, préfèrent changer de parti plutôt que de se retrouver en prison".
"La principale motivation de l'AKP est de conserver son pouvoir et de nous priver des opportunités de gouvernance locale qui, selon eux, nous apportent le soutien des électeurs. Ils veulent accaparer autant de mairies que possible", estime aujourd'hui M. Bakan.
Cette tendance existait déjà après les élections municipales de 2019, quand les maires de dizaines de municipalités remportées par le parti pro-kurde DEM, dans le sud-est du pays, ont été invalidés et remplacés par des administrateurs issus de l'AKP.
Le CHP dénonce aussi des pressions sur les élus pour changer la composition des conseils municipaux.
Sitki Keskin, conseiller du district de Cukurova à Adana (sud), dont le maire CHP Zeydan Karalar est emprisonné depuis juillet, affirme à l'AFP que les tensions apparaissent quand l'opposition et l'AKP se retrouvent face à face au sein d'un conseil municipal.
"Dans certaines localités dont les maires ont été arrêtés et destitués, des conseillers ont été forcés à démissionner afin de céder la majorité des sièges à l'AKP qui pèsera ainsi sur la désignation d'un maire adjoint", affirme-t-il.
"L'objectif est de neutraliser l'opposition", explique à l'AFP la politologue Sinem Adar, du Centre d'études appliquées sur la Turquie, basé à Berlin.
"Avec ces ralliements, l'AKP tente également d'insinuer l'idée que le parti est toujours populaire puisque ces maires délaissent le CHP pour le rejoindre. Or la popularité de l'AKP est en baisse constante depuis 2015", ajoute-t-elle.
"Nos frères et soeurs qui ont rejoint nos rangs (...) jugent que l'AKP est le parti idéal pour servir la nation. Cela nous réjouit. Je suis convaincu que de nouveaux ralliements surviendront", s'est félicité mi-septembre le président turc.
"Mais cette stratégie ne marche pas, au contraire. Notre résistance consolide l'ensemble de l'opposition", affirme Murat Bakan.
Parallèlement aux pressions judiciaires qui visent à évincer le président du CHP par une procédure toujours en cours, la "guerre sur plusieurs fronts" que le pouvoir mène contre l'opposition devrait se poursuivre, estime Sinem Adar.
"L'AKP est arrivé au bout de sa capacité à se réformer, d'où le recours à la répression", poursuit-elle.
"Si des élections libres avaient lieu, les chances de l'AKP seraient très minces. Nous sommes pris dans un tourbillon. Tant que le CHP continue de résister, cet antagonisme se complique encore davantage", avance l'analyste.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.