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Rapatriement des jihadistes: "Une lueur dans la nuit" pour leurs familles


Mercredi 6 février 2019 à 18h28

Paris, 6 fév 2019 (AFP) — L'annonce du prochain rapatriement de plus d'une centaine de jihadistes français, femmes et enfants a redonné espoir à leurs familles, souvent prostrées et qui craignent toujours que certains ne soient laissés sur place ou tués avant.

Marina, la soeur de Quentin, 30 ans, parti en 2014 rejoindre le groupe Etat islamique (EI) en Syrie, se rappellera longtemps de la semaine qui vient de s'écouler.

Elle a d'abord entendu que la France, jusque-là très réticente, envisageait le retour de 130 hommes, femmes et enfants détenus par les forces kurdes syriennes (FDS). Un tournant dans ce dossier sensible, alors qu'une partie de l'opinion craint un retour des jihadistes en France, de peur qu'ils commettent des attentats une fois sortis de prison.

"J'étais super contente", raconte Marina à l'AFP. Mais Quentin, membre de la filière toulousaine des très recherchés frères Fabien et Jean-Michel Clain, liés aux attentats de 2015 à Paris, se trouvait toujours avec l'EI dans sa dernière poche au bord de l'Euphrate, assiégée et bombardée par les Kurdes et leurs alliés occidentaux, dont la France.

"Quelques jours auparavant, Quentin nous avait appelés en nous disant qu'il allait essayer de fuir car lui, sa femme et ses quatre enfants n'avaient plus rien à manger, et étaient cernés par les bombardements", raconte Marina, installée en Rhône-Alpes et dont le prénom a été changé, comme ceux des autres membres des familles interrogés par l'AFP.

"Il nous a dit: +J'ai une chance sur deux de survivre+, pour nous ça a été un choc. Puis le soulagement quand on a appris son arrestation peu après. Notre vie a changé. Avant, on se réveillait chaque matin en se demandant s'ils étaient en vie. C'était un enfer".

Catherine, elle, entrevoit depuis peu "une lueur dans la nuit". Elle espère que sa fille Anne, 30 ans, dans la même zone avec ses quatre enfants âgés de dix mois à 9 ans, "sera très bientôt arrêtée et rapatriée". Elle aussi tient à garder l'anonymat par peur de voir toute sa famille stigmatisée, dans un pays durablement marqué par les attentats de 2015.

La plupart - 70 à 80 - des quelque 130 Français détenus par les Kurdes sont des enfants de moins de sept ans, et la moitié des quelque quinze femmes sont soupçonnées d'être "dangereuses", selon des sources françaises. S'y ajoutaient en janvier environ 250 hommes, plus des femmes et des enfants, toujours "dans la nature" en Syrie, alors que plus de 300 autres jihadistes français auraient jusqu'ici été tués.

- "On ne sait rien" -

Paris s'est résolu à envisager ces retours après l'annonce du futur retrait américain de la région, pour éviter toute "dispersion" de jihadistes dangereux. "La France devait le faire, ça devenait intenable. Il n'y a aucun cadre juridique au Kurdistan syrien et on ne pouvait laisser les enfants dans cette vie-là", explique Catherine, à l'unisson de nombreux proches.

Selon plusieurs avocats de Françaises détenues en Syrie, la France pourrait commencer les rapatriements dans les prochains jours, notamment par vols depuis le nord de l'Irak voisin. Paris n'a pour l'instant rien confirmé.

Pour d'autres, il est déjà trop tard. "On a appris ces derniers mois au moins quatre décès de femmes françaises avec leurs maris et 18 enfants au total" dans les combats et bombardements, note Catherine.

Il y a quelques mois encore, Myriam, habitant les Hauts-de-France, disait à l'AFP vivre "la peur au ventre" pour sa fille Marie, mère de trois jeunes enfants. Il y a cinq jours, elle a appris qu'elle avait été tuée. Elle ne veut plus en parler.

Zineb, partie en 2014 en Syrie où elle a eu deux enfants, âgés de 1 et 3 ans, se trouvait aux dernières nouvelles elle aussi dans la région des combats. Son frère, Mohammed, espère sa prochaine arrestation et son rapatriement. "Ce sera le plus beau jour de ma vie", dit-il.

Mais comme d'autres il a toujours des doutes. Le gouvernement ira-t-il jusqu'au bout ? Tous partiront-ils ?

"On ne sait rien", regrette le jeune homme, inquiet comme d'autres proches ces jours-ci de rumeurs indiquant que des détenus Français ont été transférés du Kurdistan syrien à l'Irak voisin, où les étrangers de l'EI écopent de lourdes peines, jusqu'à la peine de mort.

"Beaucoup parmi ceux qui sont partis n'ont pas été des combattants, ont été traumatisés et dégoûtés par les violences et la guerre, et veulent juste rentrer", affirme Nadia, installée en Rhône-Alpes et également inquiète pour sa soeur toujours sur place.

"Nous, familles, voulons juste qu'ils puissent revenir en France pour y être évalués et jugés équitablement, et condamnés uniquement pour ce qu'ils ont fait chacun", note Catherine, "pas qu'ils payent pour l'ensemble des crimes commis par l'EI".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.