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Procès de Saddam: "Que Dieu vous aveugle", clame une victime d'Anfal


Mercredi 23 août 2006 à 16h43

BAGDAD, 23 août 2006 (AFP) — Quatre témoins sont venus raconter mercredi devant le Haut tribunal pénal irakien comment ils étaient devenus "aveugles", alors que leur "peau pelait" durant les bombardements chimiques de leurs villages, au troisième jour du procès de Saddam Hussein dans l'affaire Anfal.

A l'issue de l'audience, la troisième depuis l'ouverture du procès lundi, le juge Abdallah al-Ameri présidant le Haut tribunal pénal irakien a ajourné le procès au 11 septembre, "à la demande des avocats de la défense".

Auparavant, quatre témoins ont décrit les bombardements aériens à l'arme chimique de leurs villages, au Kurdistan, en 1987 et 1988.

"Les explosions étaient sourdes. Nous avions déjà été attaqués auparavant, mais c'était différent. Nous avons senti une odeur spéciale, comme celle d'une pomme pourrie. Tous les villageois étaient malades et vomissaient", a raconté Adiba Aoula Baïs, 45 ans, une femme qui s'exprimait en kurde comme tous les témoins depuis le début du procès.

"Je vomissais du sang. Mes enfants étaient devenus aveugles. Ma peau pelait. C'était comme le jour du jugement dernier. J'ai perdu trois enfants après les attaques chimiques: l'un n'a survécu que quelques mois, deux sont morts dans des fausses couches", a poursuivi Adiba Aoula Baïs.

"Que Dieu les aveugle tous", a clamé cette femme alors détenue plusieurs jours, en désignant les sept accusés.

"J'ai du mal à parler, je n'ai plus de souffle. C'est comme cela depuis les attaques", a expliqué un autre témoin, Badriya Saïd Khider, qui a affirmé que neuf membres de sa famille, dont son mari, son fils et ses parents, avaient été "anfalisés", c'est-à-dire qu'ils ont disparus après voir été séparés d'elle dans le centre de détention.

"J'ai trouvé les corps de mon frère Saleh Abdallah et de son fils Shabaan... Ils se serraient l'un contre l'autre dans la mort", a décrit Moussa Abdallah Moussa, un ancien peshmerga (combattant kurde), après un bombardement chimique en avril 1988.

"J'ai couru désespérément pour retrouver ma famille, je leur ai dit de presser des vêtements humides contre leurs visages, nous étions paniqués, nous nous versions du lait sur la figure pour apaiser la douleur", s'est-il rappelé.

La défense a argué de la présence de combattants kurdes soutenus par des soldats iraniens pour expliquer les attaques, survenues vers la fin de la guerre Iran-Irak (1980-1988).

Mais le procureur a répliqué que rien ne justifiait l'emploi d'armes chimiques contre la population.

Saddam Hussein, son cousin Ali Hassan al-Majid, dit "Ali le chimique" pour son goût pour les gaz de combats, et cinq autres anciens responsables sont accusés d'avoir ordonné ou mis en oeuvre les campagnes de répression Anfal (butin de guerre, selon le titre de la huitième sourate du Coran), qui auraient fait jusqu'à 180.000 morts au Kurdistan en 1987 et 1988.

Six témoins à charge ont été entendus jusqu'à présent. D'après les procureurs en charge du dossier, quelque 1.175 victimes d'Anfal ont été interrogées et 65 à 70 d'entre elles doivent venir témoigner.

Le ministre irakien des Affaires étrangères, le Kurde Hoshyar Zebari, a affirmé mercredi qu'il serait honoré de témoigner devant le tribunal, si on le lui demandait.

"J'ai vu des crimes commis sous mes propres yeux, et je peux venir à la barre pour témoigner de l'ampleur des crimes", a-t-il déclaré au cours d'une conférence de presse.

Le président irakien, Jalal Talabani, lui aussi Kurde, avait assuré mardi qu'il était prêt à témoigner, "si on le lui demandait".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.