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Offensive turque en Syrie : le risque d'une grande évasion de jihadistes


Jeudi 10 octobre 2019 à 15h36

Paris, 10 oct 2019 (AFP) — Leur sort, qui risque d'être bouleversé par l'offensive turque en cours en Syrie, préoccupe le monde entier : les jihadistes étrangers prisonniers des forces kurdes pourraient profiter du chaos pour disparaître dans la nature.

Les Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par la principale milice kurde de Syrie, les Unités de protection du peuple (YPG), "ont prévenu que si la Turquie pénétrait en Syrie, elles devraient consacrer leurs forces à repousser l'attaque turque", explique à l'AFP Sam Heller, analyste à l'International crisis group (ICG).

"Elles détiennent des milliers de prisonniers du groupe État islamique (EI), souvent dans des prisons improvisées", ajoute-t-il. "Si des cadres de l'EI s'évadent à la faveur du chaos, ils seront en mesure de remonter des opérations dans la zone. Et s'ils fuient le champ de bataille syrien, ils pourraient renforcer des groupes radicaux islamistes dans le reste du monde".

L'administration semi-autonome kurde de Syrie a assuré jeudi que des bombardements turcs avaient touché "une partie de la prison de Jarkine à Qamichli (nord-est de la Syrie) où se trouvent un grand nombre de terroristes de l'EI, originaires de plus de soixante pays", sans préciser si cela avait permis des évasions.

En prévision de l'offensive turque, annoncée plusieurs jours à l'avance, l'armée américaine a transféré "en lieu sûr" au moins deux importants membres de l'EI, a révélé jeudi le président Donald Trump.

Selon le Center on National security de l'université new-yorkaise de Fordham, citant de hauts responsables américains, ce sont "plusieurs douzaines" de membres de l'EI détenus par les FDS qui ont été mis à l'abri préventivement par l'US Army, certainement en Irak.

Pour l'instant, les responsables kurdes de Syrie assurent qu'en dépit des circonstances ils n'ont pas l'intention d'ouvrir grandes les portes de leurs prisons.

"Sur les jihadistes (étrangers), notre coopération (avec la France) continue, dans des conditions difficiles. On maintient avec force et rigueur notre coopération", assure ainsi à l'AFP leur représentant en France, Khaled Issa.

"On va essayer de jongler sur plusieurs fronts avec les moyens dont on dispose", dit-il. "On est obligé de retirer une partie (de nos hommes), même sur la vallée de l'Euphrate où éventuellement le régime et ses alliés peuvent avancer. Cette opération (turque) aura un impact bien négatif sur notre combat contre les cellules dormantes de l'EI, qu'on faisait tous les jours".

- "Rentrer chez eux" -

Pour le président Trump, les choses sont simples et la cause entendue. Que va-t-il se passer ? "Et bien, ils vont s'échapper vers l'Europe", a-t-il lancé mercredi soir, répondant à la question d'un journaliste.

"C'est là qu'ils veulent aller. Ils veulent rentrer chez eux, mais ça fait des mois que l'Europe ne voulait pas les reprendre", a-t-il regretté. "On aurait pu les leur livrer, ils auraient pu être jugés, ils (les Européens) auraient pu faire ce qu'ils voulaient..."

Alain Rodier, ancien de la DGSE (services extérieurs français) et directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), ne considère pas cette hypothèse comme la plus vraisemblable.

"Jusqu'à maintenant, il semble que les jihadistes, en particulier français et européens, ne reviennent pas vers l'Europe", dit-il à l'AFP. "Ils savent qu'ils sont pour la plupart identifiés, que les services ont leurs noms, photos et souvent leurs empreintes digitales, donc il y a un risque à la frontière de se faire intercepter. Si vous sortez d'un camp de prisonniers, ce n'est pas pour entrer en prison ailleurs".

"Il semble que certains aient choisi l'Extrême Orient, où ils sont inconnus, d'autres pourraient choisir le Sahel", ajoute-t-il.

L'hypothèse d'une fuite de certains islamistes radicaux vers les autres terres de jihad avait été évoquée fin septembre, donc avant la nouvelle offensive turque, par le coordinateur national du renseignement français, Pierre Bousquet de Florian.

Il avait précisé qu'une quarantaine de jihadistes français étaient notamment parvenus à quitter la province d'Idleb, en Syrie, pour rejoindre d'autres cellules d'EI en Asie du Sud-Est, en Afghanistan et au Sahel.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.