Jeudi 27 février 2025 à 16h29
Istanbul, 27 fév 2025 (AFP) — "L'oncle qui incarne la cause": vingt-six ans après sa capture par les services secrets turcs, Abdullah Öcalan, chef historique du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), reste depuis sa cellule le visage incontournable de la cause kurde en Turquie.
L'ennemi public numéro un d'Ankara, arrêté le 15 février 1999 au Kenya au terme d'une traque acharnée, et emprisonné depuis à l'isolement sur l'île-prison d'Imrali, au large d'Istanbul, a officiellement tourné jeudi la page de la lutte armée.
"Tous les groupes doivent déposer les armes et le PKK doit se dissoudre", a ordonné M. Öcalan dans une déclaration lue par des députés kurdes qui lui ont rendu visite, précisant "assumer" cette décisions historique.
Dès l'automne et l'ouverture du dialogue initié par Ankara, il s'était fait fort de pouvoir ramener la question kurde "du terrain de la violence au terrain de la politique", assurant être "prêt à prendre les mesures nécessaires".
Malgré l'enfermement et le silence, celui que ses fidèles appellent "Apo" ou "Serok" ("oncle" et "chef", en kurde) continue à bientôt 76 ans d'incarner la cause kurde en Turquie, où le conflit entre le PKK et l'Etat a fait plus de 40.000 morts depuis 1984.
Son aura perdure également en Europe où des réfugiés kurdes brandissent régulièrement des drapeaux et pancartes affichant son visage rond. Même si avec le temps, l'épaisse moustache noire barrant son visage a viré au gris.
- Perpétuité -
Né le 4 avril 1949 dans une famille paysanne, dans le village d'Ömerli à la frontière syrienne, Abdullah Öcalan s'engage à l'extrême gauche pendant ses études en sciences politiques à Ankara, ce qui lui vaut un premier séjour en prison en 1972.
En 1978, il fonde le PKK, d'obédience marxiste-léniniste. Deux ans plus tard, c'est l'exil, le plus souvent à Damas ou dans la plaine libanaise de la Bekaa alors sous contrôle syrien, où il installe son quartier général.
"Apo" opte en août 1984 pour la lutte armée afin d'arracher la création d'un Etat kurde.
Aux attaques du PKK répond la répression féroce d'Ankara. Le sud-est du pays est progressivement plongé dans un état de quasi guerre civile, avec un groupe qualifié de "terroriste" par la Turquie, les Etats-Unis et l'Union européenne.
Contraint en 1998 de quitter la Syrie sous la pression turque, il erre dans toute l'Europe avant d'être capturé par les services secrets turcs à la porte de l'ambassade de Grèce à Nairobi, au Kenya.
Ramené en Turquie, il est condamné à mort, une peine commuée en emprisonnement à perpétuité lors de la suppression de la peine capitale en 2002.
- "Acteur de référence" -
Ankara pensait alors, en l'arrêtant, avoir décapité le PKK. Mais même à l'isolement, "Apo" continue de diriger son mouvement en délivrant ses instructions à ses visiteurs, même si le commandement militaire, réfugié en Irak, lui échappe.
C'est ainsi lui qui, par deux fois, au début des années 2000, puis en 2013, ordonne un cessez-le-feu unilatéral.
Lui, encore, qui commande au mouvement de renoncer à l'idée d'un Etat kurde indépendant et de militer pour une autonomie politique au sein de la Turquie, dont les Kurdes représentent selon les estimations un cinquième des 85 millions d'habitants.
En 2015, après deux ans d'apaisement et de négociation avec Ankara sur les droits culturels et la représentation politique des Kurdes, le conflit reprend dans le sud-est à majorité kurde de Turquie, dévastant notamment la vieille ville de Diyarbakir.
Abdullah Öcalan déplorera l'année suivante que "tant de gens (soient) morts", surtout des jeunes peu aguerris, dans "une guerre où aucun camp ne peut l'emporter", selon des propos rapportés par son frère Mehmet.
Depuis, "la société kurde s'est diversifiée et le mouvement kurde politique et légal s'est imposé comme un acteur", souligne Hamit Bozarslan, directeur d'études à l'EHESS, à Paris.
Pourtant, "Öcalan reste l'acteur de référence", estime M. Bozarslan. "Pour une grande partie des Kurdes, (...) c'est l'oncle qui incarne non seulement la cause, mais qui incarne la nation kurde dans sa totalité".
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.