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"Nous avons été traités comme des animaux", accuse un rescapé du pire naufrage de migrants dans la Manche


Mardi 4 mars 2025 à 16h58

Londres, 4 mars 2025 (AFP) — Un Somalien, survivant du pire naufrage de bateau de migrants dans la Manche qui avait fait au moins 27 morts en novembre 2021, a accusé mardi devant une commission d'enquête britannique les secours de ne pas les avoir sauvés parce qu'ils étaient des "réfugiés".

Pendant près de trois heures, Issa Mohamed Omar a raconté cette nuit du 23 au 24 novembre 2021.

Il était interrogé par vidéo par les responsables d'une enquête publique sur le naufrage, qui a démarré lundi à Londres ses auditions.

"Si les secours étaient arrivés rapidement, la moitié (des victimes) seraient encore en vie aujourd'hui", a affirmé cet homme de 31 ans, qui a quitté son pays, la Somalie, en 2006 à cause de la guerre, puis a vécu au Yémen où il a encore été pris dans des violences meurtrières.

"Ils ont vu que nous étions des réfugiés, c'est la raison pour laquelle les secours ne sont pas venus du tout", a poursuivi cet homme, qui a eu l'impression que lui et les autres passagers du bateau avaient "été traités comme des animaux".

Ce naufrage avait engendré une montée de tension entre Paris et Londres, qui s'en renvoyaient la responsabilité.

L'enquête publique, qui se concentre sur le rôle des autorités britanniques et devrait aboutir à des recommandations, se déroule en parallèle des procédures judiciaires françaises.

Dans l'enquête pénale en France, sept militaires ont été mis en examen pour non-assistance à personne en danger. Onze passeurs présumés sont également poursuivis.

Vingt-sept corps ont été retrouvés après ce naufrage. Les victimes sont principalement des Kurdes d'Irak. Parmi elles on compte sept femmes, une fillette de sept ans. Quatre personnes sont portées disparues.

Selon plusieurs sources, ils étaient 33 à bord de l'embarcation de fortune. Mais Issa Mohamed Omar est "100% sûr" qu'ils étaient davantage. "Des enfants n'ont pas été comptés", a-t-il affirmé. "Le bateau était très chargé".

Il y avait, selon lui, 14 adultes de chaque côté de l'embarcation, et les familles avec enfants au milieu.

- La "voix" des victimes -

Pendant environ 1H30, un bateau des garde-côtes français les a "suivis", sans engager de dialogue, a-t-il raconté.

Ils ont commencé à couler plus tard, "aux alentours de 02H00", estime Issa Mohamed Omar.

Les migrants ont utilisé leur téléphone comme lampe torche dans l'espoir d'être repérés.

Il se souvient des cris des enfants dans l'obscurité, d'une femme qui a appelé son mari en pleurant pour lui dire adieu.

Au téléphone, les passeurs assuraient aux migrants qu'ils n'étaient plus qu'à 2 ou 3 kilomètres de Douvres, en Angleterre, se souvient-il.

Issa Mohamed Omar évoque les nombreux appels de détresse passés aux secours britanniques, en vain. "La plupart du temps", personne ne répondait. Lors du dernier appel, l'opérateur leur a donné un nouveau numéro pour donner leur localisation sur Whatsapp.

C'est son dernier souvenir avant le naufrage.

"Plusieurs personnes se sont noyées très rapidement une fois que nous avons chaviré". Mais le matin, une dizaine de migrants étaient encore en vie, selon lui.

Lui s'accrochait à ce qu'il restait de l'embarcation en bougeant le plus possible pour survivre dans l'eau froide.

Il a été secouru par des pêcheurs français après plus de dix heures dans l'eau. Il s'est réveillé à l'hôpital, en France. Il lui a fallu 4 mois pour réapprendre à marcher.

Seulement deux passagers ont survécu.

Issa Mohamed Omar, qui est toujours en France, a accepté de témoigner car il veut que "justice" soit faite et être "la voix" des migrants qui sont morts.

Les naufrages continuent dans la Manche. Selon les autorités françaises, 78 migrants ont péri en 2024 en tentant de rejoindre l'Angleterre à partir des côtes du nord de la France, un record depuis le début en 2018 du phénomène des "small boats" (petits bateaux) dans la Manche.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.