Lundi 16 juin 2025 à 20h02
Lille, 16 juin 2025 (AFP) — Neuf hommes, afghans et kurdes, sont jugés jusqu'à vendredi pour leur rôle présumé de passeurs dans le naufrage d'une embarcation clandestine qui avait fait quatre morts et quatre disparus dans la Manche en décembre 2022.
Dans ce procès qui se tient jusqu'à vendredi, dix personnes étaient renvoyées devant la Juridiction interrégionale spécialisée (Jirs). Huit comparaissent depuis lundi. Le neuvième, en fuite et suspecté d'avoir dirigé le réseau est jugé par défaut. Le dernier, détenu en Belgique, sera jugé ultérieurement.
La nuit du 13-14 décembre 2022, un canot, parti entre 1H00 et 1H30, transportant en majorité des migrants afghans, avait fait naufrage à quelques kilomètres des côtes anglaises.
Des personnes originaires d'Afghanistan, Albanie, Inde ou du Sénégal, 39 selon la préfecture maritime, sont repêchés in extremis par les secours français et anglais. Parmi les rescapés, "huit mineurs", a rappelé la présidente du tribunal.
Sur les huits morts, seul un corps a été identifié, un homme "venu d'Afghanistan", a souligné la magistrate.
La même nuit, sept autres embarcations clandestines ont pris la mer.
Sur le banc, les prévenus, chemises et vestes claires et grises, écoutent attentivement la lecture des faits, traduits par leurs interprètes en kurde et pachto, une des langues afghanes.
Agés de 22 à 40 ans, ils sont poursuivis pour "traite d'être humains", "homicide involontaire" par violation d'une obligation de sécurité, mise en danger d'autrui, ou aide au séjour irrégulier. Certains sont soupçonnés d'avoir recruté des passeurs et assuré la logistique auprès des passagers, d'autres d'avoir géré l'organisation sur le camp de migrants de Loon-Plage (Nord).
- Forcé -
Lors de ce premier jour d'audience, le tribunal affiche un organigramme établi par les enquêteurs: trois personnes dont le prévenu en fuite forment la tête de réseau, et deux frères aghans domiciliés en région parisienne gèrent les finances, soupçonnés d'avoir recueilli le prix des traversées.
Le mineur sénégalais qui pilotait le canot est, lui, inculpé dans une procédure au Royaume-Uni.
Tous reconnaissent partiellement les faits. "Je ne suis pas passeur", affirme le premier, "A moitié", reconnaît un autre. "J'ai participé", mais "pas activement", dit un quatrième.
L'un des prévenus, lui-même candidat à l'exil, assure avoir "été forcé de faire ça", à "coups de pieds", et avec "un bâton" par un autre prévenu. Cet homme de 22 ans, ex-chauffeur de taxi en Afghanistan, dit avoir conduit des migrants "sous la menace d'une arme": trois allers-retours entre le camp de Loon-Plage et Ambleteuse d'où partait le canot.
Les prévenus ont été interpellés entre janvier 2023 et mars 2024, à Cherbourg, Clichy, ou encore à la gare Montparnasse.
Selon l'enquête, alors que les migrants gonflaient le bateau avant le départ, plusieurs ont entendu une détonation, synonyme selon eux de crevaison. Les passeurs leur ont dit de ne pas s'en faire, qu'il s'agissait du seul bateau disponible.
D'après les témoignages des rescapés, il n'y avait pas assez de gilets de sauvetage pour tout le monde et aucune des personnes décédées n'en portait un. La nuit du naufrage la température était glaciale, une mer très agitée à 10-11 degrés, avec selon les enquêteurs, des "risques d'hypothermie estimés à quatre minutes".
Après une ou deux heures de traversée, un boudin a commencé à se dégonfler et l'eau à entrer dans l'embarcation. Paniqués, les passagers se sont mis debout pour faire signe à un bateau, faisant ployer le fond du canot. Tous se sont retrouvés à l'eau.
Apparu en 2018, le phénomène des traversées de la Manche en petites embarcations clandestines est à l'origine de nombreux naufrages. Depuis le début de l'année, au moins 15 migrants sont décédés dans la Manche, selon un décompte de l'AFP à partir de chiffres officiels. En 2024, 78 étaient morts ainsi, un record.
Signe que le phénomène se poursuit malgré d'importants déploiements policiers, plusieurs embarcations clandestines ont pris la mer depuis le littoral français à l'aube lundi, dont une transportant des dizaines de personnes venues d'Afrique, a constaté l'AFP.
Deux hommes ont été tués par balle, dont un Soudanais de 24 ans, et un autre très grièvement blessé lors de deux incidents distincts durant le week-end près d'un camp de migrants du Dunkerquois.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.