Jeudi 19 juin 2025 à 19h23
Lille, 19 juin 2025 (AFP) — Le parquet a requis jeudi des peines allant jusqu'à 8 ans d'emprisonnement contre neuf passeurs kurdes et afghans, jugés depuis lundi à Lille pour un naufrage de migrants qui avait fait huit morts dans la Manche fin 2022.
Huit ans ont été requis contre un Afghan en fuite jugé en son absence, et désigné par les autres prévenus comme le cerveau de toute l'organisation.
La même peine a été demandée pour un Kurde irakien de 40 ans. A la barre, celui-ci s'est présenté comme un "petit commis", chargé de nourrir et transporter les migrants, mais il est considéré comme un donneur d'ordre et un logisticien qui pouvait percevoir jusqu'à 3.000 euros par jour.
L'enquête a montré qu'il se déplaçait de nuit, ne parlait jamais de ses activités par téléphone, et transmettait, avant le passage, la date et les points de localisation du départ.
Selon d'autres prévenus, il était le numéro 3 du réseau, le numéro 2 étant un Afghan détenu en Belgique, qui lui sera jugé ultérieurement.
Sept ans de prison ont été requis à l'encontre de cinq autres mis en cause, dont deux frères considérés comme les financiers occultes de l'organisation, et six ans à l'encontre de deux autres suspectés d'avoir participé à la mise à l'eau du canot dans le secteur d'Ambleteuse (Pas-de-Calais).
- "Trafic extrêmement lucratif" -
La procureure a pointé le "trafic extrêmement lucratif" d'une "organisation criminelle", avec un paiement moyen de 3.500 euros par passager, et "les fautes qui ont conduit au naufrage".
Dans la nuit du 13 au 14 décembre 2022, les températures étaient "glaciales" et la mer "très agitée": des conditions à haut risque pour un bateau "complètement inadapté à la navigation en haute mer", qui de surcroît avait embarqué 47 personnes, soit près du triple de sa capacité, a souligné la procureure.
Selon l'enquête, alors que les migrants gonflaient le bateau avant le départ, plusieurs ont entendu une détonation, synonyme selon eux de crevaison. Les passeurs leur ont dit de ne pas s'en faire, et qu'il s'agissait du seul bateau disponible.
Après une ou deux heures de traversée, un boudin a commencé à se dégonfler et l'eau à entrer dans l'embarcation. Paniqués, les passagers se sont mis debout, faisant ployer le fond du canot. Tous se sont retrouvés à l'eau, certains sans gilet de sauvetage, dans une mer à 10-11 degrés, avec des "risques d'hypothermie estimés à quatre minutes" selon les enquêteurs.
Le naufrage a fait quatre morts et quatre disparus, dont un seul a été identifié, un Afghan.
La procureure a aussi notamment demandé l'interdiction définitive du territoire français et le maintien en détention des huit prévenus, qui pour certains sont en détention provisoire depuis deux ans et demi.
- "Traite d'êtres humains" -
Le procès doit se poursuivre jusqu'à vendredi avec les plaidoiries des avocats.
Les prévenus sont poursuivis pour "traite d'être humains", "homicide involontaire" par violation d'une obligation de sécurité, mise en danger d'autrui, ou aide au séjour irrégulier.
Face au schéma établi par les enquêteurs avec les rôles présumés de chacun, les prévenus démentent, ou minimisent leur rôle.
Certains se présentent comme des migrants qui auraient participé à l'organisation en échange du droit de tenter la traversée.
Un Kurde de 26 ans, chétif et abattu, reconnaît ainsi avoir porté le moteur du bateau, tout en assurant que c'était dans l'espoir d'embarquer. "Mais il n'y avait plus de place", affirme-t-il.
Les prévenus présentent tous des parcours migratoires, et certains avaient déjà tenté la traversée vers l'Angleterre. Mais si l'un d'eux avait essayé de franchir la Manche moins de deux mois avant les faits, d'autres étaient en Europe continentale depuis une dizaine d'années.
Lors d'un procès similaire à Lille en novembre 2024, des peines allant jusqu'à 15 ans de prison avaient été prononcées à l'encontre de 18 membres d'un réseau "tentaculaire" de passeurs dans la Manche, principalement des Kurdes irakiens, accusés d'avoir organisé plus de 10.000 traversées clandestines selon les autorités britanniques.
Signe que les départs clandestins se poursuivent malgré la lutte contre les réseaux de passeurs, le nombre de personnes arrivées au Royaume-Uni depuis le début de l'année a augmenté de 40% par rapport à 2024, selon des chiffres transmis mercredi par le ministère de l'Intérieur français.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.