Mardi 8 juillet 2025 à 17h41
Paris, 8 juil 2025 (AFP) — Elle pourrait être la première Française jugée pour génocide: la cour d'appel de Paris a ordonné mardi un procès aux assises pour cette qualification pour une revenante de Syrie, qui conteste avoir réduit en esclavage une adolescente yazidie au printemps 2015.
La chambre de l'instruction a confirmé la mise en accusation de Sonia Mejri devant la cour d'assises spécialement composée de Paris, des chefs de génocide, a indiqué à l'AFP une source judiciaire.
Si ce procès devait se tenir, cette femme de 36 ans, serait non seulement la première revenante française de Syrie à comparaître en France pour génocide sur les Yazidis, minorité ethno-religieuse kurdophone, mais aussi la première Française à être jugée, de manière générale, pour ce crime passible de la réclusion criminelle à la perpétuité.
"Nous déplorons cette décision incohérente et allons évaluer, dès que nous aurons reçu l'arrêt, l'opportunité de faire ou non un nouveau pourvoi en cassation", a commenté auprès de l'AFP Me Marceau Perdereau, qui défend Sonia Mejri avec Me Nabil Boudi.
"Mme Mejri conteste toujours fermement avoir participé au génocide des Yazidis. Si elle devait être jugée pour cela, elle s'en défendrait avec force lors du procès", a ajouté Me Perdereau.
Avec cette décision, Sonia Mejri pourrait être jugée pour génocide, mais aussi pour d'autres infractions terroristes et pour complicité de crimes contre l'humanité, comme acté précédemment.
- "Butin de guerre" -
Un juge d'instruction antiterroriste du tribunal de Paris avait en effet ordonné en septembre 2024 ce procès pour Abelnasser Benyoucef, un émir du groupe Etat islamique (EI), et son ex-épouse Mme Mejri.
M. Benyoucef "savait qu'en acquérant" la Yazidie "et en la soumettant à un enfermement, à des viols répétés et à des privations graves, il participait à l'attaque dirigée par l'EI (Etat islamique) contre la communauté yézidie", avait justifié le magistrat.
Et Sonia Mejri devait être également jugée comme "garante de l'enfermement" de la jeune Yazidie: elle détenait la clef de l'appartement et portait, selon l'ordonnance de mise en accusation consultée par l'AFP, une arme pour la dissuader de fuir.
L'accusation lui reprochait notamment "des atteintes graves à l'intégrité physique et psychique" de cette adolescente, soumise à son domicile "à des conditions d'existence de nature à entraîner la destruction" de sa communauté.
Mais la cour d'appel de Paris avait infirmé cette décision en janvier, s'agissant du seul crime de génocide, avant d'être contredite en mai par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Cette dernière avait estimé que l'on pouvait bien être poursuivi pour génocide, même si l'on s'en était pris à un seul membre d'un groupe faisant l'objet d'"un plan concerté tendant à sa destruction totale ou partielle", et non nécessairement à plusieurs comme le soutenait la chambre de l'instruction.
Cette dernière a donc réexaminé le 17 juin la seule question de ces poursuites pour génocide.
Les violences sexuelles ont été utilisées par les jihadistes de l'EI comme des armes pour briser la résistance des Yazidis et instaurer un climat de peur généralisé. En atteste notamment l'instauration de marchés aux esclaves sexuelles.
La parole de la victime est au coeur de ce dossier inédit.
Retrouvée par les enquêteurs, elle a affirmé avoir été séquestrée pendant plus d'un mois au printemps 2015 en Syrie, et n'avoir pu ni boire, ni manger, ni se doucher sans l'autorisation de Sonia Mejri.
Elle accusait aussi cette dernière de l'avoir violentée et d'avoir été au courant que son mari la violait quotidiennement.
Son témoignage faisait écho à de nombreux rapports d'associations décrivant la stratégie de l'EI pour s'attaquer aux Yazidis: marchés aux esclaves, instauration d'un "département des butins de guerre"...
Sauf que le dossier manquait d'éléments pour attribuer à Sonia Mejri une "intention génocidaire" et prouver qu'elle ait été "un rouage tangible" de ces exactions planifiées, selon une source proche du dossier.
Sonia Mejri avait elle contesté toute infraction liée à la jeune Yazidie: son ex-mari en était le "propriétaire", avait-elle déclaré au cours de l'enquête, et elle n'avait "aucun droit" sur elle.
Visé par un mandat d'arrêt et présumé mort depuis 2016, Abdelnasser Benyoucef devrait lui être jugé par défaut comme auteur de génocide et de crimes contre l'humanité et pour des infractions terroristes.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.