Jeudi 10 janvier 2013 à 20h14
ISTANBUL, 10 jan 2013 (AFP) — Le gouvernement comme la plupart des commentateurs turcs ont expliqué jeudi le meurtre de trois militantes kurdes à Paris par la volonté de faire dérailler le dialogue que les autorités viennent à peine de renouer avec le chef rebelle kurde emprisonné Abdullah Öcalan, loin de faire l'unanimité.
Quelques heures à peine après la découverte des corps des trois femmes, tuées d'une balle dans la tête, l'un des responsables du parti au pouvoir à Ankara a donné le ton, en privilégiant un règlement de comptes au sein du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui mène la lutte armée contre l'armée turque depuis 1984.
"Nous savons qu'il y a des dissensions, des clivages au sein du PKK. Il peut s'agir d'un règlement de comptes", a lancé Hüseyin Celik, le vice-président du Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste). "Des milieux peuvent tenter de saboter ce processus (de paix)", a-t-il ajouté.
Même s'il a jugé qu'il était encore "trop tôt" pour tirer la moindre conclusion, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a tourné son regard dans la même direction. "Nous sommes engagés dans la lutte contre le terrorisme en Turquie", a-t-il dit depuis Dakar, "cela pourrait être une provocation pour gêner ce processus, ou alors une querelle interne".
Alors que la communauté kurde de France a accusé la Turquie d'être à l'origine des meurtres, le vice-Premier ministre Bülent Arinç a catégoriquement démenti toute responsabilité. "Tuer trois femmes de cette manière, d'une balle dans la tête (...) ce n'est absolument pas une affaire que nous pouvons approuver", a-t-il assuré.
Même s'il livre sur son territoire aux rebelles du PKK une guerre sans merci qui a déjà fait plus de 45.000 morts, l'Etat turc n'a jamais été mis en cause pour l'assassinat de militants kurdes à l'étranger.
Par contre, les règlements de comptes violents entre chefs rivaux ont été légion dans l'histoire récente et mouvementée de la nébuleuse kurde. Et l'extrême-droite turque a elle aussi déjà été accusée d'avoir exécuté des proches du PKK.
Faire dérailler les efforts de paix
Même s'ils sont restés plus prudents que le gouvernement, tous les commentateurs les ont liés à la reprise il y a quelques semaines de négociations de paix entre le gouvernement, via le chef des services secrets Hakan Fidan, et le chef historique du PKK, qui suscitent de nombreuses oppositions.
"Le meurtre de trois activistes éminents du PKK, d'une manière professionnelle et avec des armes munies de silencieux, ne peut être envisagé séparément des discussions de paix, quels que soient les assassins", a jugé l'éditorialiste du quotidien Milliyet (centre-gauche) Kadri Gursel.
"Il est difficile de dire qui a fait ça mais il est clair que ce sont des assassinats qui visent les proches d'Öcalan", a renchéri, plus précis, son confrère du quotidien Radikal (centre gauche) en insistant sur la proximité d'une des victimes, Sakine Cansiz, avec le chef historique de la rébellion kurde.
Ex-policier anti-terroriste, l'expert Emre Uslu a lui aussi évoqué le scénario d'un crime commis par une faction kurde hostile aux discussions en cours.
Mais il a également avancé l'hypothèse d'une responsabilité de Damas ou de Téhéran, deux capitales voisines avec lesquelles la Turquie entretient des relations tendues depuis le début de la crise syrienne. "Les possibilités de paix augmentent et cela perturbe des tiers comme l'Iran et la Syrie", a-t-il écrit sur son blog.
Quels que soient leurs commanditaires, les autorités turques, M. Erdogan en tête, ont assuré que ces meurtres ne remettraient pas en cause leurs efforts de paix.
"Notre but est de faire taire les armes et d'aboutir à la paix. Chaque fois que nous menons une initiative pour y parvenir, des groupes assoiffés de sang tentent de la faire dérailler", a indiqué à l'AFP une source proche du gouvernement.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.