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Meurtre de Julien Videlaine: l'accusé assure avoir cru protéger sa fille


Lundi 19 septembre 2022 à 18h38

Beauvais, 19 sept 2022 (AFP) — "Je sentais un danger": au premier jour de son procès pour le meurtre du petit ami de sa fille, Muhittin Ulug a juré lundi avoir cru la défendre d'une agression, l'expert psychologue pointant lui le basculement "émotionnel" d'un traditionaliste, à la vue de sa fille nue avec un homme.

"Je me sens coupable et pas coupable à la fois", lance Muhittin Ulug, cheveux gris ras, chemise noire et visage fermé, devant la Cour d'assises de l'Oise.

Dans la salle se pressent plus d'une trentaine de membres de sa famille, dont des enfants. Les parents et proches de la victime font eux face au box, à quelques mètres de Nuzan, fille de l'accusée, petite amie de la victime et unique témoin du drame.

"J'ai vu quelqu'un que je ne connais(sais) pas du tout". "Moi, je sentais un danger pour la vie de ma fille", assure-t-il. Il peine d'abord à se faire comprendre en français, puis passe le relais à son interprète.

Huit ans après les faits, ce franco-kurde de 52 ans comparaît pour avoir tué d'une vingtaine de coups de couteau le petit ami de sa fille Julien Videlaine, après avoir surpris un rendez-vous amoureux, que la jeune fille voulait cacher à ses parents.

- "Etat de panique" -

Ce 24 juillet 2014, les secours appelés dans leur pavillon de Nogent-sur-Oise avaient découvert le jeune homme, 20 ans, nu et recroquevillé dans une mare de sang, dans la salle de bains. En état de choc et blessée à la main, Nuzan, alors âgée de 19 ans, avait immédiatement accusé son père.

Ses parents, d'origine kurde, désapprouvaient sa relation avec ce Français aux origines kabyles, avait-elle dit aux enquêteurs. Son père l'avait même menacé de la tuer si elle n'y mettait pas un terme.

Parti en Turquie, l'accusé ne sera arrêté puis extradé que des années plus tard, en 2019.

Pendant l'instruction, il avoue le meurtre mais nie avoir eu conscience qu'il s'agissait de l'ami de Nuzan. Il serait rentré plus tôt croyant sa fille victime d'un malaise, aurait vu en arrivant une fenêtre ouverte, avant d'entendre des cris à l'étage et d'y trouver cet homme nu.

"Je ne savais pas qui c'était", insiste l'accusé lundi. "Je suis arrivé a la maison, toutes les portes étaient fermées. Je me suis retrouvé dans un état de panique", se justifie-t-il encore.

Un peu plus tôt, l'enquêteur de personnalité avait retracé le parcours de cet homme, né au sud-est de la Turquie de parents kurdes, agriculteurs et précaires. Il avait rejoint la France en 1989 pour "fuir les persécutions" contre sa communauté.

- Sentiment "identitaire" -

Si sa famille le décrit comme un homme "droit, honnête, pas agressif", et "ouvert", M. Ulug "s'enferme dans un cercle intra-communautaire et prioritairement familial", avait observé l'enquêteur, qui n'a "pas trouvé trace" d'autres amis. L'accusé se voit lui comme "une personne simple" et un "papa ami".

Pour l'expert psychologue, Kévin Veeramalay, l'accusé est "tiraillé entre un mouvement d'occidentalisation, et un souhait de conserver certaines valeurs traditionnelles".

Sa relation avec Nuzan "a été émaillée" de "nombreux conflits", liés notamment "à ses choix d'orientation", "au sentiment qu'elle n'adoptait pas pleinement le mode de vie qu'il aurait voulu" et "l'émergence du corps féminin, sexualisé", a-t-il analysé.

Lorsqu'il découvre le couple nu, il a "sans doute agi (...) parce que ce qu'il a vu était insoutenable, irreprésentable, au regard de son fonctionnement", a estimé M. Veeramalay.

Il a pu ressentir cette scène comme "une attaque de son identité, ses valeurs traditionnelles", a-t-il dit, évoquant un basculement "émotionnel".

"Vos filles avaient-elles le droit d'avoir des relations avec des hommes ?", demande l'avocat de l'accusé, Frank Berton. "Ca m'est égal, si elles veulent, elles en ont. Même avant le mariage", réplique Muhittin Ulug.

Nuzan avait pourtant "remplacé tous les noms masculins" dans son téléphone par des "pseudonymes" féminins, note l'avocat général. L'accusé secoue la tête. "Je ne surveillais pas son portable."

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.