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Menace d'offensive turque en Syrie: quels enjeux pour quels protagonistes?


Mardi 6 août 2019 à 17h59

Beyrouth, 6 août 2019 (AFP) — Après un an et demi de menaces, le président turc Recep Tayyip Erdogan a averti mardi que ses troupes pourraient attaquer "très bientôt" les zones contrôlées par les Kurdes dans le nord-est de la Syrie.

Pourquoi la Turquie mènerait-elle une nouvelle offensive en Syrie, que veulent les Kurdes de Syrie et comment les États-Unis - un allié des deux camps - qui jouent les médiateurs peuvent-ils éviter une telle opération?

Que veut la Turquie?

Durant les huit années de guerre en Syrie, déclenchée en 2011, les Kurdes ont adopté une position plutôt neutre, se focalisant davantage sur la mise en place d'une région semi-autonome dans le nord-est du pays.

Mais de l'autre côté de la frontière, la Turquie a vu d'un mauvais oeil cette émancipation, craignant que cela ne ravive les velléités indépendantistes de cette minorité ethnique sur son propre territoire.

Pour Ankara, les Unités de protection du peuple (YPG), principale milice kurde en Syrie, sont le prolongement du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en conflit depuis 1984 avec l'armée turque et considéré par Ankara comme une "organisation terroriste".

Depuis 2016, les forces turques ont ainsi mené deux offensives chez le voisin.

Début 2018, elles ont pris le contrôle d'Afrine, l'un des trois cantons de la région "fédérale" kurde autoproclamée en 2016.

Mardi, M. Erdogan a mis en garde contre une offensive imminente.

"Si Dieu le veut, le processus que nous avons commencé (..) va entrer dans une nouvelle phase très bientôt", a-t-il déclaré.

Il avait exprimé auparavant sa frustration sur le manque d'avancées des négociations entre Ankara et Washington en vue de créer une "zone de sécurité" séparant la frontière turque des positions des YPG.

Les discussions achoppent notamment sur la largeur de cette zone, la Turquie voulant une bande de 30 km de profondeur à l'intérieur du territoire syrien, placée sous son contrôle.

Et les Kurdes?

Les Kurdes ont refusé initialement toute présence militaire turque dans les secteurs qu'ils contrôlent et avaient proposé par le passé que la "zone de sécurité" soit surveillée par des observateurs internationaux.

Mais lundi, un haut responsable de la région kurde, Aldar Khalil, a indiqué à l'AFP que les autorités semi-autonomes étaient prêtes à accepter une zone tampon d'environ cinq kilomètres de large. Mais la Turquie a refusé selon lui.

Ankara a également refusé que les Kurdes participent aux pourparlers en cours entre Américains et Turcs, a affirmé M. Khalil.

Ces dernières années, les Kurdes ont été un allié clé de Washington dans la lutte contre le groupe jihadiste Etat islamique (EI).

Les Forces démocratiques syriennes (FDS), dont les YPG constituent la colonne vertébrale, ont notamment évincé en mars les jihadistes de leur dernier fief en Syrie, signant la fin du "califat" autoproclamé par l'EI en 2014.

Elles détiennent aujourd'hui des milliers de jihadistes présumés et contrôlent des camps abritant des dizaines de milliers de leurs proches, dont de nombreux étrangers.

"Une attaque (turque) sur ces secteurs rendrait difficile la surveillance des prisons et des camps", prévient M. Khalil.

En quête de soutien, les Kurdes ont entamé des négociations avec le régime syrien, soutenu par Moscou, au sujet des régions sous leur contrôle.

"Nous avons proposé à Damas que nous négocions une certaine formule pour ces secteurs (...) mais Damas n'a encore rien décidé (...) malgré l'urgence de la situation", déplore-t-il.

Que fait Washington?

Les États-Unis --alliés à la fois de la Turquie au sein de l'Otan, et des Kurdes-- se trouvent dans une position délicate.

Le Pentagone a qualifié lundi une éventuelle offensive d'Ankara d'"inacceptable", mais trouver un arrangement avec les Turcs n'est pas aisé, selon des analystes.

Pour Nicholas Danforth, membre du German Marshall Fund, les objectifs des Américains et des Turcs divergent.

Washington "se focalise sur l'objectif (...) d'assurer la sécurité à la frontière turque", explique-t-il.

Mais "la Turquie envisage quelque chose comme Afrine", une ville tombée totalement sous sa coupe.

Pour Nicolas Heras, M. Erdogan chercherait par ailleurs à "faire baisser la pression dans son propre pays (...) en réinstallant (dans la zone frontalière côté syrien) des dizaines de milliers" de Syriens ayant trouvé refuge en Turquie.

Les Etats-Unis pensent désormais que la seule chose qui pourrait empêcher une offensive turque, ce sont des patrouilles conjointes dans la future "zone de sécurité", incluant la Turquie et la coalition anti-EI, dirigée par Washington, estime le chercheur du Center for New American Security.

Dans ce cas, les Etats-Unis ne demanderaient pas leur avis aux Kurdes, selon M. Heras. Washington les mettrait devant "le fait accompli".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.