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Mardin, îlot d'harmonie interethnique au coeur des violences du sud-est turc


Jeudi 8 novembre 2007 à 15h15

MARDIN (Turquie), 8 nov 2007 (AFP) — Du haut de sa montagne escarpée, la ville de Mardin fait figure d'îlot d'harmonie interethnique au coeur du Sud-Est de la Turquie en proie à un violent conflit entre l'armée turque et les rebelles séparatiste kurdes.

"Nous sommes très optimistes ici. Les gens nous abordent, nous les Kurdes, de manière très positive", déclare Mehmet, un homme d'affaires kurde, en buvant son thé dans l'antique cité surplombant la plaine mésopotamienne.

"Ca va bien, nous avons de bonnes relations avec tout le monde", affirme Necmettin, Kurde lui aussi et employé dans un hôtel de la ville.

Turcs, Kurdes, Arabes musulmans et Syriaques chrétiens vivent côte-à-côte à Mardin, carrefour des civilisations depuis plus d'un millénaire où d'antiques écoles coraniques jouxtent des églises antédiluviennes et où les rues résonnent de toutes les langues de la région, de l'araméen parlé par Jésus Christ au turc contemporain.

Les gens y sont fiers de leur identité ethnique ou religieuse, mais ils ont aussi le sentiment d'appartenir à une seule et même communauté.

"Nos maisons, nos écoles, nos lieux de prière et même nos tombes sont les uns à côté des autres", explique Selahattin Bilirer, un Arabe musulman dirigeant une compagnie de transport.

"Nous ne nous voyons pas comme des ennemis simplement parce que nous sommes de confessions différentes ou que nous avons des héritages différents", ajoute-t-il. "Bien sûr, nous avons nos désaccords quotidiens, mais à la base nous formons à nous tous une communauté".

M. Bilirer attribue cet esprit de tolérance au niveau élevé d'éducation des habitants et à leur relative prospérité, dû notamment à l'attrait touristique de la ville.

Non loin de là pourtant, cet esprit de tolérance est soumis à rude épreuve.

Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) mène depuis 1984 une campagne armée pour l'indépendance du Sud-Est de la Turquie, à la population en majorité kurde. Le conflit a fait plus de 37.000 morts.

Les tensions se sont accrues après la mort de 12 soldats dans un assaut lancé par le PKK contre une position militaire turque près de la frontière irakienne.

Cette attaque a accru la probabilité d'une intervention de l'armée turque dans le nord de l'Irak, déjà évoquée face à la recrudescence des activités du PKK, pour en déloger les rebelles kurdes qui s'en servent comme d'une base arrière.

De nombreux Kurdes à travers la Turquie craignent qu'un tel développement attise les tensions ethniques.

"Si le conflit s'étend, nous pourrions faire l'objet de discriminations dans d'autres parties de la Turquie. J'ai peur que mon frère ne soit pas en mesure d'aller à l'université", affirme Azad Urek, un homme d'affaire kurde de Silopi, près de la frontière irakienne.

Considéré comme une organisation terroriste par la Turquie, les Etats-Unis et l'Union européenne, le PKK jouit dans le sud-est anatolien de la sympathie de nombreux Kurdes estimant que les rebelles se battent pour faire respecter leurs droits.

Le gouvernement a récemment accordé aux Kurdes, qui représentent environ un cinquième des 70 millions d'habitants de la Turquie, le droit d'apprendre leur propre langue, mais seulement dans des établissements privés.

Pour Gabriel Oktay Cilli, un bijoutier chrétien de Mardin, cette attitude atteste de la défiance de l'Etat à l'égard des minorités.

"Quand l'Etat turc nous voit comme des Kurdes ou des chrétiens, c'est comme s'il voyait en nous l'ennemi", affirme M. Cilli, évoquant les interdictions qui ont longtemps pesé sur la rénovation des églises et persistent sur l'enseignement de l'araméen.

"La mentalité doit changer, il doit y avoir plus d'ouverture et de tolérance", poursuit-il. "Dans et hors de Turquie, Mardin devrait être un modèle de coexistence pacifique".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.