Page Précédente

Lot-et-Garonne: l'intégration par le masque pour une famille kurde syrienne


Vendredi 17 avril 2020 à 13h10

Lavardac (France), 17 avr 2020 (AFP) — Dans une ruelle de Lavardac, des ronronnements de machines à coudre s'échappent d'une modeste maison. A l'étage, les frères Shikho, des réfugiés kurdes syriens, confectionnent des masques en tissu "par solidarité" avec la population de ce village du Lot-et-Garonne.

Dans une étroite pièce aux murs blancs qui sert d'atelier, Mustapha, Mohamad, Fawzi, Hekmat et leur beau-frère Riad découpent, cousent, surfilent, plient des tissus colorés et conversent en kurde. Sur la table à repasser, des dizaines de masques artisanaux bariolés attendent d'être livrés à la pharmacie toute proche.

"On voulait rendre service aux gens du coin qui ne peuvent pas sortir, on sait ce que c'est de rester enfermé. Chez nous il y avait la guerre", explique Mustapha, l'aîné.

A 31 ans, couturier de métier comme son cadet Mohamad, qui exerce lui à Agen, Mustapha voulait ouvrir un atelier à Lavardac, 2300 habitants, verdoyant coin de Gascogne baigné par la Baïse, dans le vignoble de Buzet. Mais le confinement en a voulu autrement.

"On avait un stock de tissu, on a commencé à faire des masques pour la famille", raconte Mohamad, 24 ans, en français. "On s'est dit pourquoi pas en fabriquer pour nos amis les habitants ? Le mairie nous a rendu service (en les accueillant fin 2016), nous aussi on voulait faire un geste pour eux".

A ce jour, ces couturiers, parfois aidés de leurs soeurs ou de la mère Radija, en ont confectionné environ 2.000, à trois épaisseurs et lavables.

"Grâce à leurs masques, il y a des gens qui osent sortir. La population est un peu protégée. C'est un moindre mal, en attendant de pouvoir s'en faire livrer des vrais, FFP2 ou chirurgicaux", souligne Frédéric Barthe.

Sa pharmacie et celle du village voisin, ainsi qu'un poignée d'associations, écoulent localement la production des Shikho et essaient de leur reverser un euro par pièce pour couvrir les frais et le matériel.

"Des gens nous disent qu'on devrait les vendre 4 ou 5 euros mais on ne veut pas faire ça, par solidarité", explique Fawzi.

- "Rester debout" -

Lycéen de 19 ans, il a écrit un petit livret ("Je cherche la paix") qui raconte l'épopée familiale: Homs, où ils habitaient au déclenchement du conflit syrien en 2010, puis le Liban pour quelques mois, avant Afrine, un coin de Syrie d'où ils sont originaires mais aujourd'hui occupé par la Turquie qui a en chassé sa population à majorité kurde, puis Istanbul, Athènes et la France.

"On a appris notre premier mot de français à l'aéroport, c'était bonjour", s'amuse Hekmat, 17 ans, qui parle presque comme un ado français, sans l'accent du Sud-Ouest.

Comme des centaines de milliers d'autres réfugiés, la famille a rallié nuitamment une île grecque sur un bateau pneumatique surchargé, depuis la côte turque. Une cinquantaine de personnes, toutes apparentés aux Shikho, dont 19 enfants.

"Avant la traversée, on s'est dit: +soit on meurt ensemble, soit on arrive ensemble+", glisse Fawzi. "Bien sûr qu'on a eu peur".

A Lavardac, "ça a un peu coincé dans la population" quand il a été décidé d'accueillir une famille de réfugiés syriens, explique le maire Philippe Barrère. Mais "via l'école, les associations, le travail", les Shikho "ont témoigné de leur envie farouche de s'intégrer et cette initiative des masques est un bel exemple de leurs qualités de coeur et de leur volonté".

"Leur histoire n'est pas étrangère à ça", dit l'élu, battu au 1er tour des dernières municipales. "Ils ont l'habitude de se battre, de rester debout".

Cette intégration réussie dans le tissu local, les Shikho peuvent la constater dans la rue. "Parfois, on croise des gens avec nos masques, glisse l'un des frères. L'autre jour, une dame qui en portait un m'a dit merci".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.