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Les menaces turques contre les Kurdes en Syrie, un casse-tête pour Washington


Mercredi 7 novembre 2018 à 11h12

Beyrouth, 7 nov 2018 (AFP) — Le président turc Recep Tayyip Erdogan a menacé les Kurdes en Syrie d'une nouvelle offensive, cette fois-ci contre des secteurs du nord du pays en guerre où des forces américaines sont présentes.

La Turquie ne veut pas de la présence à sa frontière des forces kurdes syriennes. Ces derniers jours ses mises en garde se sont accompagnées du pilonnage de positions de la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG), l'épine dorsale des Forces démocratiques syriennes (FDS) dans les régions de Kobané et de Tal Abyad.

Les Etats-Unis cherchent à calmer le jeu. A la tête d'une coalition internationale, Ils aident les YPG et FDS dans la lutte contre le groupe jihadiste Etat islamique (EI), mais Washington est aussi un partenaire stratégique de la Turquie au sein de l'OTAN.

- Menaces sérieuses? -

Depuis 2016, la Turquie a mené deux offensives en Syrie contre les forces kurdes, la dernière contre l'enclave frontalière d'Afrine, conquise en mars et contrôlée depuis par des rebelles syriens pro-turcs.

M. Erdogan a maintes fois menacé ensuite de repartir à l'offensive, dans l'hinterland des territoires kurdes.

Mais aujourd'hui, ses mises en garde sont à prendre au sérieux après le pilonnage de Kobané et Tal Abyad, alors que son pays a le vent en poupe sur la scène internationale, estiment les experts.

Sur le dossier syrien, la Turquie a conclu en septembre un accord avec la Russie, alliée du régime de Bachar al-Assad, qui a empêché un assaut de l'armée contre Idleb (nord-ouest), le dernier grand bastion insurgé et jihadiste du pays, et évité un nouveau drame humanitaire.

Sur la scène internationale, Ankara pourrait selon des observateurs mettre à profit le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat de son pays à Istanbul pour arracher des concessions aux Etats-Unis sur la question des forces kurdes syriennes, en se gardant à ce stade d'incriminer directement dans cette affaire le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, un allié clé de Washington.

En outre, les rapports d'Ankara avec Washington s'améliorent après la libération en octobre du pasteur américain Andrew Brunsen détenu en Turquie.

En pilonnant Kobané et Tal Abyad, M. Erdogan cherche à tester le niveau de tolérance des Etats-Unis. "Il tente de voir jusqu'où il peut aller en cas d'opération militaire", soutient Nicolas Heras, chercheur au Center for a New American Security.

- Les Etats-Unis "coincés"? -

La Turquie qualifie les YPG de groupe "terroriste", alors que Washington y voit un allié stratégique dans la lutte anti-EI.

La poussée de fièvre met dans l'embarras les Etats-Unis, d'autant que les FDS doivent encore terminer une offensive contre l'une des dernières poches de l'EI dans l'est syrien.

Mais l'assaut a dû être suspendu après les bombardements turcs.

"Les Etats-Unis sont coincés, ils veulent mener à terme l'offensive anti-EI", explique Aaron Lund, analyste au think-tank The Century Foundation.

Le fait que les Américains doivent compter sur les forces kurdes dans la lutte antijihadistes donne aux FDS "un rare levier d'influence sur la superpuissance" américaine, ajoute-t-il.

Quelques jours après l'annonce de la suspension des opérations par les FDS, des soldats américains ont patrouillé pour la première fois dans les secteurs frontaliers kurdes bombardés par l'armée turque.

Mais les troupes américaines et turques ont aussi lancé des patrouilles conjointes aux abords de la ville de Minbej (nord), en application d'une "feuille de route" élaborée par les deux alliés pour désamorcer les tensions.

- Lutte anti-EI entravée? -

"Si les Etats-Unis cèdent face à la Turquie, ils ne pourront plus compter sur les Kurdes", résume l'expert sur la Syrie Fabrice Balanche.

Pour Mutlu Civiroglu, expert en affaires kurdes, la pause dans les combats constitue un "message clair" envoyé par les FDS à la coalition internationale.

Ils leur disent, souligne l'expert: "on lutte ensemble, nous sommes partenaires, quand je suis confronté à des menaces, vous devez les stopper".

Avant l'arrêt des opérations, les FDS avaient massé d'importants renforts venus de secteurs frontaliers du nord syrien, selon M. Civiroglu. Dans ces régions, dit-il "leurs maisons, leurs familles sont attaquées", et dans ces conditions, "il est difficile de se concentrer sur le combat, déjà très dur".

Après avoir progressé, les FDS ont subi fin octobre un revers en raison de contraintes climatiques et de contre-attaques meurtrières jihadistes.

Mais si les tensions offrent un sursis à l'EI, le groupe jihadiste perdra en fin de compte le combat, soutient Aaron Stein, expert de l'Atlantic Council. "L'EI est vaincu militairement, même s'il continue de résister. Les Etats-Unis finiront le travail au final".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.