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Les Kurdes, victimes du rapprochement entre Damas et Ankara en Russie ?


Vendredi 30 decembre 2022 à 19h14

Beyrouth, 30 déc 2022 (AFP) — La Russie a organisé mercredi une rencontre tripartite entre les ministres turc, syrien et russe de la Défense, le première depuis le début de la guerre en Syrie en 2011.

Quelles peuvent être les conséquences d'un rapprochement entre Damas et Ankara pour les forces kurdes, déployées dans le nord-est du pays, soutenues par les Etats-Unis et sous la menace d'une opération terrestre turque?

- Quelles relations entre Turquie et Syrie?

Avant le début du conflit en Syrie, Ankara était un partenaire politique et économique privilégié de Damas.

Mais la guerre, qui a débuté par des manifestations antigouvernementales avant de se transformer en conflit complexe, a considérablement tendu les relations.

Ankara a pris le parti de l'opposition politique et des groupes rebelles et accueille aujourd'hui sur son sol près de quatre millions de réfugiés.

En 2021, un bref échange informel entre les ministres des Affaires étrangères des deux pays laissait présager un rapprochement.

Ankara et Damas avaient reconnu des contacts entre services de renseignement et, en août, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu avait appelé à une réconciliation entre le régime et l'opposition en Syrie.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan, qui a plusieurs fois qualifié M. Assad d'"assassin" ces dernières années, a évoqué en novembre une "possible" rencontre avec lui.

La Russie, selon les analystes, joue un rôle clé dans le rapprochement entre ses deux alliés, unis par un "ennemi" commun, à savoir les forces kurdes, qualifiées de "terroristes" par Ankara et soutenues par Washington.

- Pourquoi ce timing?

Selon Moscou, les discussions mercredi ont porté sur "les façons de résoudre la crise syrienne et la question des réfugiés" et "les efforts conjoints pour combattre les groupes extrémistes".

La rencontre a été organisée en raison des "développements liés à l'opération militaire turque qui était prévue dans le nord (de la Syrie, ndlr) et a été empêchée par Moscou", a indiqué à l'AFP le directeur du Centre d'études stratégiques de Damas, Bassam Abou Abdallah.

Depuis le 20 novembre, la Turquie a intensifié ses bombardements contre des positions de combattants kurdes dans le nord de la Syrie et menace de déclencher une offensive terrestre.

D'un autre côté, plusieurs cycles de pourparlers menés par Damas avec l'administration kurde --qui contrôle de vastes zones dans le nord et l'est de la Syrie dont des champs pétroliers-- ont échoué.

"Erdogan subit d'intenses pressions politiques pour mener une opération militaire en Syrie et relocaliser autant de Syriens que possible" dans leur pays avant les élections de juin, selon Nick Heras, chercheur au New Lines Institute.

"S'il recevait le feu vert d'Assad pour mener des opérations aériennes contre les Kurdes, une guerre s'ensuivrait", a-t-il ajouté.

- Quel scénario pour les Kurdes?

"L'objectif immédiat des trois pays est d'éliminer les FDS", a déclaré à l'AFP Fabrice Balanche, maître de conférence à l'Université Lumière Lyon 2.

Selon lui, Ankara veut "éliminer la +menace kurde+ et tout simplement chasser la population kurde du nord de la Syrie", tandis que pour Moscou "il s'agit d'éliminer un allié des Etats-Unis en Syrie, les FDS, et de renforcer ainsi son allié Bachar al-Assad".

Les FDS ont été en effet le fer de lance de la lutte contre l'EI chassé de ses fiefs en Syrie en 2019, avec l'aide de la coalition internationale menée par Washington.

Vendredi, le Conseil démocratique syrien, bras politique des Forces démocratiques syriennes (FDS, coalition armée menée par les Kurdes), a critiqué la rencontre de mercredi, appelant les Syriens à "faire face à cette alliance".

Pour Damas, "il s'agit de récupérer ce territoire (nord-est du pays, ndlr) et surtout ses richesses pétrolières", selon M. Balanche.

Par ailleurs, "le régime a besoin que la Turquie neutralise les jihadistes d'Idleb", ajoute-t-il, en référence aux groupes qui contrôlent environ la moitié de la province d'Idleb (nord-ouest).

Si les Kurdes refusent de se retirer dans une zone à 30 km de la frontière turque comme les en exhorte Ankara, la réunion tripartite constituera le "précurseur d'une invasion turque", estime M. Balanche pour qui celle-ci n'est qu'une "question de temps".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.