Lundi 25 mars 2019 à 21h32
Ain Issa (Syrie), 25 mars 2019 (AFP) — Les Kurdes de Syrie ont appelé lundi à la création d'un tribunal international spécial, basé dans le nord-est de ce pays, pour juger les crimes commis par le groupe Etat islamique (EI) durant les plus de quatre ans de son "califat" aujourd'hui éradiqué.
L'organisation jihadiste la plus redoutée au monde est accusée d'avoir commis de nombreux crimes -exécutions de masse, viols, enlèvements- sur les vastes territoires qu'elle a contrôlés en Syrie et en Irak de 2014 à 2019. Elle a aussi revendiqué des attaques meurtrières sur d'autres continents.
Le dernier réduit de ce proto-Etat est tombé samedi, quand une alliance arabo-kurde, les Forces démocratiques syriennes (FDS), a conquis le dernier lambeau du "califat" à Baghouz (est) avec l'aide d'une coalition internationale menée par les Etats-Unis. Les derniers jihadistes se sont rendus ou ont été tués.
A l'issue de cette ultime bataille, les FDS ont indiqué avoir arrêté plus de 5.000 jihadistes désormais détenus dans les prisons de l'administration autonome de facto établie par les Kurdes dans les régions sous leur contrôle dans le nord-est de la Syrie.
Hors Syriens et Irakiens, ils sont environ un millier d'étrangers, a précisé à l'AFP un responsable de cette administration, Abdel Karim Omar.
Après avoir appelé en vain les pays d'origine à les rapatrier, les autorités kurdes semblent avoir changé de stratégie.
"Nous appelons la communauté internationale à établir un tribunal international spécial dans le nord-est de la Syrie", ont déclaré les FDS et l'administration autonome. La création d'un tel tribunal permettra "que les procès soient conduits de manière équitable".
- Washington pas sur la même ligne -
"La communauté internationale n'a pas assumé ses responsabilités et aucun pays n'a accepté de rapatrier ses ressortissants", a expliqué à l'AFP Abdel Karim Omar en allusion aux jihadistes.
"Nous lui demandons maintenant de coopérer en nous fournissant un soutien légal et logistique pour établir et protéger une telle cour", a-t-il ajouté.
Principal soutien des FDS, les Etats-Unis ont refusé d'évoquer la piste d'une juridiction internationale.
"Nous n'étudions pas ça à ce stade", a dit le représentant spécial américain pour la Syrie James Jeffrey pour qui la "priorité" américaine est "de faire pression sur les pays pour qu'ils reprennent leurs propres ressortissants, qu'ils aient commis des crimes ou pas".
En Irak, où s'étendait également le "califat" de l'EI jusqu'à fin 2017, plus de 600 personnes -dont de nombreux étrangers- ont déjà été condamnées à mort ou à la perpétuité pour avoir rejoint l'EI.
Les ONG de défense des droits humains dénoncent des procès "expéditifs" et des "aveux" obtenus après de "possibles tortures".
"L'idée d'un tribunal pénal international est pertinente mais dans le nord-est de la Syrie ce n'est pas réaliste", a déclaré à l'AFP Joël Hubrecht, responsable du programme justice internationale à l'Institut des hautes études sur la justice (IHEJ) de Paris.
L'administration kurde n'est pas reconnue internationalement, l'établissement d'une telle cour prend du temps et instaurer des systèmes fiables de protection des témoins paraît difficile dans un pays en guerre, relève-t-il.
Un tel tribunal, peut-être dans un autre lieu, "est idéalement souhaitable", dit-il toutefois en rappelant que les crimes reprochés à l'EI "sont internationalisées par leur nature (génocide, crime contre l'humanité...), leur géographie et la nationalité de leurs auteurs".
- Milliers d'étrangers -
Deux tribunaux ont notamment été créés par la communauté internationale: le Tribunal pénal international pour le Rwanda après le génocide de 1994 (siège en Tanzanie) et le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie après les guerres des années 1990 (siège à La Haye).
Il existe en outre une Cour pénale internationale (CPI), premier tribunal permanent chargé de juger les plus graves violations du droit humanitaire. Washington ne reconnait toutefois pas sa compétence.
Les Kurdes ont par ailleurs tiré la sonnette d'alarme au sujet des dizaines de milliers de déplacés entassés dans le camp d'Al-Hol (nord-est), où plus de 9.000 femmes et enfants étrangers proches de jihadistes se trouvent selon les autorités kurdes. Les enfants étrangers sont plus de 6.500, ont-elles dit sans préciser leur nationalité.
"Les réfugiés et les déplacés souffrent de conditions extrêmement difficiles et pénibles qui violent les droits humains", selon l'administration kurde, qui a critiqué "l'efficacité faiblissante des agences de l'ONU".
Lundi, trois orphelins en bas âge russes dont les parents étaient affiliés à l'EI ont été remis par les Kurdes à des représentantes de leur pays venues les rapatrier.
Plus de 70.000 personnes s'entassent à Al-Hol, d'après le Programme alimentaire mondial (PAM), alors que le camp a été conçu pour accueillir un maximum de 20.000 personnes.
Depuis décembre, au moins 140 personnes sont mortes lors de leur transport vers Al-Hol ou juste après leur arrivée, selon le Comité international de secours (IRC).
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Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.