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Les Kurdes, une nouvelle fois "lâchés" par leurs alliés


Vendredi 21 decembre 2018 à 16h40

Paris, 21 déc 2018 (AFP) — Les Kurdes, fers de lance des Occidentaux dans la lutte antijihadiste, se voient une nouvelle fois "lâchés" par leurs alliés avec la perspective d'un retrait américain de Syrie, une constante pour ce peuple qui a souvent servi de "variable d'ajustement".

Sur le terrain, le ressenti est sans appel après l'annonce surprise par le président Donald Trump d'un retrait des 2.000 soldats américains stationnées dans le nord-est de la Syrie, aux côtés des Kurdes.

"Jusqu'à ce jour, les Kurdes ont toujours été trahis. Tous ceux qui ont coopéré avec nous ont fini par nous trahir", résumait Hamreen Salah, Kurde syrienne, lors d'une manifestation jeudi à Ras al-Ain, à la frontière turque.

En première ligne face aux jihadistes du groupe Etat islamique (EI), la milice kurde des YPG risque de se retrouver sans soutien militaire au moment même où le président turc Recep Tayyip Erdogan menace de l'attaquer.

Alliée des Etats-Unis face à l'EI, elle est aussi l'ennemi juré de la Turquie, par ailleurs membre de l'Alliance atlantique, qui l'accuse d'être liée à la rébellion kurde du PKK sur le sol turc.

En janvier, l'armée turque --aidée par des supplétifs rebelles syriens-- a déjà lancé une offensive terrestre et aérienne meurtrière contre les YPG dans la région d'Afrine, dont elle a pris le contrôle deux mois plus tard.

"Ce n'est pas la première fois que les Américains lâchent les Kurdes", relève Didier Billion, spécialiste de la Turquie à l'Institut de Relations internationales et stratégiques (Iris) à Paris.

- Pas de Kurdistan unifié -

"Les Etats-Unis et quelques autres ont toujours considéré que c'était une variable d'ajustement et que ce qu'ils considéraient comme leurs intérêts supérieurs valaient plus que le soutien aux Kurdes", ajoute-t-il.

En 2017, les Kurdes irakiens, autre acteur clé dans la lutte anti-EI, s'étaient déjà retrouvés seuls face à la colère du pouvoir central irakien après leur référendum d'indépendance.

Revendiquant la création d'un Kurdistan unifié, les Kurdes sont perçus comme une menace envers l'intégrité territoriale des pays où ils sont installés dès qu'ils gagnent en autonomie.

"Régulièrement, les soutiens matériels, logistiques, militaires se sont évaporés quand les puissances qui les soutenaient voyaient que les pouvoirs centraux reprenaient les choses en main", rappelle Didier Billion.

Selon lui, seul les Israéliens pourraient souhaiter un Etat kurde unifié "parce que cela affaiblirait tous les régimes qui ne leur sont pas favorables".

En Syrie, après avoir souffert de décennies de marginalisation et d'oppression, les Kurdes ont instauré une autonomie de facto dans le nord du pays depuis 2011 en profitant du chaos généré par la guerre.

- "Livrés à eux-mêmes" -

Au moment où la bataille contre l'EI touche à sa fin, Donald Trump a finalement décidé de retirer des troupes censées aussi assurer la sécurité et la stabilité des zones kurdes face à la menace turque comme au régime de Damas et ses alliés russe et iranien.

"Dans la logique américaine, bien que perçus favorablement, les Kurdes restent assez négligeables, ils ne sont pas assez structurés et trop tardivement étatisés", considère Boris James, chercheur à l'Institut français du Moyen-Orient.

Dans le conflit syrien, "il n'y a plus d'allié stratégique, les logiques sont purement tactiques (...) les extrêmes peuvent parfois converger", note-t-il également dans le quotidien français Libération.

Le "lâchage" américain place dans une situation compliquée d'autres pays qui ont aussi misé, comme la France, sur les Kurdes pour vaincre l'EI et couper court à ses projets d'attentats planifiés depuis la Syrie.

Les forces kurdes ont "consenti dans ce combat un sacrifice éminent", souligne le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian, alors que Paris leur assure aussi un soutien aérien et au sol.

La décision de Donald Trump "revient, si on la prend à la lettre, à livrer à elles-mêmes les troupes arabo-kurdes et les populations", concède sans fard la présidence française.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.