Vendredi 26 octobre 2007 à 10h38
CIZRE (Turquie), 26 oct 2007 (AFP) — Les Kurdes de Cizre, une localité du sud-est de la Turquie, redoutent une intervention militaire contre les rebelles kurdes, de l'autre côté de la frontière turco-irakienne toute proche.
"Une opération transfrontalière signifierait plus de sang et de guerre. Nous avons déjà beaucoup souffert", confie Metin Selcuk Özalp (23 ans), qui vend des copies piratées des derniers films d'Hollywood dans cette ville d'environ 80.000 habitants, située à 45 km de la frontière.
"Ce dont nous avons besoin, ce sont des investissements", ajoute le jeune homme.
La ville de Cizre, dans la province de Sirnak, se trouve au coeur du sanglant conflit qui oppose depuis 1984 l'armée turque au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et qui a fait plus de 37.000 morts.
Face à l'augmentation des attaques du PKK, le gouvernement turc a obtenu la semaine dernière le feu vert du Parlement à une intervention contre les quelque 3.500 rebelles kurdes qui utilisent le nord de l'Irak comme base arrière.
Les bruits de bottes turcs ont fait monter la tension entre Ankara et Bagdad tandis que les Etats-Unis appelaient à la retenue, craignant qu'une intervention ne déstabilise l'une des rares régions relativement calmes de l'Irak.
Les Kurdes de Turquie se sentent menacés par une intervention en Irak.
"C'est toujours nous qui supportons le plus lourd fardeau. La majorité des familles ici à un proche dans l'armée ou qui se bat avec le PKK", raconte un chauffeur de taxi, Idris Serim, 39 ans.
A Cizre, de nombreux habitants craignent qu'une opération militaire, théoriquement limitée au massif montagneux du nord de l'Irak, ne déborde sur toute la région et touche même les cités, comme cela s'était déjà produit en 1992-1993, au plus fort de la rébellion du PKK.
"J'ai grandi avec la guerre. On ne pouvait pas sortir le soir et la nuit nous entendions les tirs", se souvient Tahir Acar, 28 ans, qui supervise la rénovation d'une boutique de vêtements.
"Nous ne voulons pas connaître ça à nouveau alors que la situation a commencé à s'améliorer", ajoute-t-il.
Afin de favoriser son rapprochement avec l'Union européenne, la Turquie a récemment aboli l'état d'urgence en vigueur 15 ans durant dans la région et autorisé l'enseignement du kurde dans des établissements privés.
Une opération militaire aurait aussi de lourdes conséquences économiques, avec la fermeture du poste-frontière d'Habur, une grande partie de la population vivant du commerce transfrontalier.
Aujourd'hui, l'économie régionale repose essentiellement sur la circulation des camions qui transportent des biens de consommation en Irak et reviennent chargés de carburant bon marché.
"Le poste-frontière d'Habur est l'unique source de revenus. Que vont faire les gens s'il est fermé ? Rejoindre les rebelles dans les montagnes ?", s'exclame Metin Selcuk Özalp.
Ramazan Ekmekci, dont la boutique de téléphones portables dépend du commerce avec le nord de l'Irak, est aussi très pessimiste.
"S'il n'y a pas d'argent, il y aura une révolte. Si la population cède à la provocation et déterre les armes, ni la Turquie, ni les Etats-Unis ne pourront rien empêcher", prévient-il.
Opposés à une intervention militaire, nombre d'habitants souhaitent des négociations entre les rebelles et Ankara et davantage de droits pour la communauté kurde.
"Nous ne voulons pas faire sécession d'avec la Turquie et créer notre propre Etat. Les Turcs et les Kurdes vivent ensemble depuis des siècles", rappelle Ismail Kurtulus, propriétaire d'une boutique d'électronique.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.