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Les Kurdes d'Irak et de Syrie divisés sur une possible victoire d'Erdogan


Dimanche 21 mai 2023 à 11h43

Erbil (Irak), 21 mai 2023 (AFP) — "Un portail sur le reste du monde": pour le Kurdistan d'Irak, c'est ce que représente la Turquie. Au vu du partenariat économique construit avec Recep Tayyip Erdogan, le second tour de la présidentielle turque s'annonce aussi crucial pour la région autonome.

Président du Kurdistan, autonome dans le nord de l'Irak depuis trois décennies, Nechirvan Barzani n'a pas attendu les résultats pour appeler M. Erdogan et lui exprimer "sa confiance et son optimisme" de le voir remporter le second tour le 28 mai, selon un communiqué.

Toutefois, une victoire du "Reis" turc inquiète une partie des Kurdes irakiens, et les territoires kurdes en Syrie voisine, qui redoutent une énième escalade militaire.

Car le Kurdistan d'Irak est depuis longtemps victime collatérale du conflit opposant Ankara aux combattants kurdes turcs du PKK. Et en Syrie, l'armée turque a lancé plusieurs offensives contre l'administration semi-autonome du "Rojava", qu'elle accuse de collusion avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan.

Malgré les répercussions du conflit, Erbil, capitale du Kurdistan d'Irak, ne peut qu'accepter la présence militaire turque dans ses montagnes: en 2022, les échanges commerciaux avec Ankara s'élevaient à 12 milliards de dollars, soit plus de la moitié de la balance commerciale entre la Turquie et l'Irak.

"Depuis qu'Erdogan est devenu président, on est satisfait", confirme Ahmed Krouanji dans son échoppe du souk d'Erbil. "Il y a beaucoup de commerce avec la Turquie, la situation économique s'est améliorée", explique-t-il à l'AFP.

Dans une boutique de vêtements, le trentenaire Ali Khodr abonde. Même si, mu par une solidarité ethnique transfrontalière, il reconnaît qu'une victoire d'Erdogan "n'est pas dans l'intérêt des Kurdes de Turquie".

- "Bénéfices mutuels" -

Dénonçant les persécutions dont souffre la minorité, la principale formation prokurde de Turquie, le Parti démocratique des peuples (HDP), mise sur un départ de M. Erdogan et soutient son rival Kemal Kiliçdaroglu.

Mais à l'issue du premier tour, le président Erdogan affiche une confortable avance. Seule consolation: l'opposition est parvenue pour la première fois à lui imposer un ballotage.

En deux décennies les dirigeants du Kurdistan irakien ont tissé des liens très étroits avec le président turc, qui ne manque pas de recevoir aussi bien Nechirvan Barzani que son cousin le Premier ministre Masrour Barzani, à l'occasion de leurs visites très régulières à Ankara.

"Le gouvernement du Kurdistan a toujours essayé d'avoir de bons rapports avec la Turquie, qui est leur portail sur le reste du monde", rappelle le politologue irakien Mohamed Ezzedine.

"Ces rapports ont été construits sur des bases économiques", souligne-t-il.

Sans l'aval du pouvoir fédéral irakien, le Kurdistan d'Irak dépendait de la Turquie pour exporter des années durant tout son pétrole, poumon économique d'Erbil.

Cette coopération, interrompue en raison d'un litige juridique, devrait in fine reprendre, une fois réglées des questions techniques et financières.

"Economiquement, il y a des bénéfices mutuels", résume M. Ezzedine.

- "Repartir à zéro" -

Une victoire d'Erdogan, c'est aussi le risque de plus d'instabilité géopolitique, le pouvoir turc ayant durci le ton dans la lutte contre le PKK, classé groupe "terroriste" par Ankara et ses alliés occidentaux.

Depuis 1984 le conflit a tué des dizaines de milliers de personnes en territoire turc. Mais il a aussi débordé dans le nord de l'Irak, où sont désormais implantées des dizaines de bases militaires turques et des bases-arrières du PKK.

Pour l'universitaire Kamel Omar, en cas de nouveau quinquennat de M. Erdogan, "l'armée turque va élargir son influence militaire au Kurdistan, et pénétrer plus en profondeur dans la région autonome".

Crainte similaire dans le nord-est de la Syrie: l'administration kurde semi-autonome, érigée par la minorité à la faveur de la guerre, a été la cible de campagnes successives de l'armée turque contre les combattants des YPG, les Unités de protection du peuple.

Epine dorsale d'une coalition antijihadistes alliée aux occidentaux, les YPG sont considérés par Ankara comme une extension du PKK. Et ces dernières années, les offensives turques ont contraint les forces kurdes à abandonner des territoires frontaliers.

"On a peur qu'Erdogan ne reste au pouvoir", indique à l'AFP Sardar Abbas, enseignant dans la ville syrienne de Qamichli, y voyant la menace "d'autres attaques".

"Ce serait une catastrophe pour nos régions", résume M. Abbas, craignant un nouvel exode de population. Et à terme, une perte du proto-Etat, si laborieusement construit: "Ce serait repartir à zéro".

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Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.