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Les Fakeh et les Nasser, destins kurdes à Kirkouk


Samedi 17 novembre 2007 à 06h46

KIRKOUK (Irak), 17 nov 2007 (AFP) — Chassés de chez eux en 1987 par Saddam Hussein parce qu'ils sont Kurdes, les Fakeh et les Nasser sont rentrés à Kirkouk. Mais si les uns ont récupéré leurs terres, les autres survivent à grand-peine, squattant une caserne abandonnée.

"Un jour les hommes de Saddam sont venus et ont dit: +Vous êtes kurdes. Vous avez une semaine pour décamper+", raconte Jiane Fakeh, 45 ans, sur le seuil d'une étrange maison, aux portes du désert, à la sortie de Kirkouk. "Quand ils sont revenus, sept jours plus tard, ils ont tout volé".

Cette paysanne, joufflue et radieuse, vit à nouveau depuis 2003 sur ses terres ancestrales, mais dans l'immense villa rococo construite, à la place de leur ferme rasée, par un Arabe venu de Mossoul.

La bâtisse est décorée de chevaux de plâtre, d'une tour de guet tarabiscotée et surmontée d'un immense portrait en céramique de Saddam Hussein en tenue bédouine, que l'on devine encore sous une couche de peinture.

"Ce gars était un +moukhabarat+ (agent de renseignement) de Saddam mais surtout un gros trafiquant de pétrole", s'amuse Fouad Fakeh, 27 ans. "Il pensait que mettre un gros Saddam au-dessus de chez lui le protègerait de la police! La première chose qu'on a faite, quand on est revenu ici vingt jours après l'entrée des Américains dans Bagdad, c'est de peindre par-dessus".

Repliés pendant seize ans dans la ville voisine d'Erbil, capitale de la région autonome du Kurdistan, les Fakeh passaient régulièrement sur la route, non loin de là.

"On a vu la maison se monter. Mais il était interdit de s'arrêter ou de parler à qui que ce soit. Tout le village avait été peuplé d'Arabes. Des gens de Saddam. Les terres des Kurdes, c'étaient leur récompense", accuse Adnan Fakeh, 27 ans.

"Nous avons eu la chance que cet Arabe soit un bandit: il a eu peur des nouvelles autorités, et il avait de l'argent pour déménager", ajoute-t-il. "Ce n'est pas le cas de tous nos amis".

Depuis quatre ans, ils ont replanté des légumes et du blé, racheté du bétail, reconstruit les poulaillers.

"Merci à l'Amérique!" lance Ibrahim Fakeh, 22 ans. "Sans elle, jamais nous n'aurions pu rentrer chez nous. Les Kurdes n'oublieront jamais".

Dans le taudis de la famille Nasser, trois pièces presque nues aux fenêtres bâchées de plastique dans ce qui fût le cantonnement d'un des services secrets de Saddam Hussein dans le centre de Kirkouk, les sourires sont plus rares.

Miséreux avant d'être chassés, miséreux ils sont restés, après quinze ans d'errance et de disette dans les régions kurdes, et jusqu'en Iran.

A 33 ans, Shler Nasser, le visage serré dans un voile blanc, en paraît vingt de plus. "Nous sommes rentrés à Kirkouk dès la chute de Saddam", dit-elle en nettoyant une vieille cuisinière dans la cour. "Nous étions d'ici, nous nous sommes dits qu'on allait peut-être nous donner une maison. Mais c'était une erreur. La vie est terrible".

Son mari, charpentier, loue ses services à la journée. Mais, contrairement aux régions kurdes où la construction explose, à Kirkouk, où règne la violence politique et crapuleuse, les chantiers sont rares.

"Il gagne 150, 200 dollars les bons mois. A peine de quoi manger. Si on avait su, nous serions restés à Chamchamal. Mais là, on n'a pas l'argent pour y retourner".

Comme les Nasser, ils sont des milliers de Kurdes à squatter stades, casernes et bâtiments à l'abandon dans Kirkouk.

Leur cousin, Goran Omar, 22 ans, est l'un d'eux. Il se souvient qu'il y a six mois le souffle d'une voiture piégée, à cent mètres de lui, l'a fait tomber du vélo.

"Il y a les kidnappings, mais cela ne concerne pas les pauvres comme nous. Les fusillades, mais surtout les bombes. Les bombes, c'est le pire. Mais si vous avez trop peur, vous ne pouvez pas survivre. Alors on n'a pas peur".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.