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Le soutien américain aux Kurdes de Syrie irrite de plus en plus Ankara


Mercredi 10 février 2016 à 17h47

Ankara, 10 fév 2016 (AFP) — Le président turc Recep Tayyip Erdogan a encore haussé le ton mercredi pour dénoncer en termes très virulents le soutien militaire des Etats-Unis à ses ennemis kurdes de Syrie, au risque de provoquer une crise entre les deux alliés.

Manifestement très énervé, M. Erdogan a accusé sans nuance les Américains d'avoir fait de la région une "mare de sang" en fournissant des armes au Parti de l'union démocratique (PYD) et à ses milices, les Unités de protection du peuple (YPG), qu'il considère comme des organisations "terroristes".

"Hey, l'Amérique ! Vous ne pouvez pas nous forcer à reconnaître le PYD ou les YPG. Nous les connaissons très bien, autant que nous connaissons Daech (le groupe Etat islamique)", s'est-il exclamé dans un discours devant des élus locaux.

"Depuis que vous refusez de les reconnaître (en tant qu'organisations terroristes, ndlr), la région s'est transformée en une mare de sang", a poursuivi M. Erdogan.

La Turquie considère le PYD et les YPG comme des organisations "terroristes", étroitement liées aux rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui se livrent depuis 1984 à une guérilla meurtrière sur le sol turc.

Depuis des mois, le soutien américain aux Kurdes de Syrie, en pointe dans le combat contre le groupe Etat islamique (EI), nourrit les tensions entre Washington et Ankara.

En enfonçant un coin entre deux partenaires de premier plan de la coalition antijihadiste, ces divergences risquent de compliquer encore un peu plus la recherche d'un règlement politique en Syrie, où la guerre a fait plus de 260.000 morts depuis 2011.

Ces dernières semaines, l'irritation turque a viré à la colère froide, surtout depuis la récente visite qu'a rendue à l'état-major des YPG Brett McGurk, l'envoyé spécial du président américain Barack Obama chargé du dossier de la coalition internationale antijihadiste.

Mardi, l'ambassadeur des Etats-Unis à Ankara John Bass a été convoqué au ministère turc des Affaires étrangères après que le porte-parole du département d'Etat américain John Kirby eut réaffirmé que le PYD n'était pas un mouvement "terroriste".

- Désaccord entre 'amis' -

"Même les meilleurs amis ne peuvent pas être d'accord sur tout", a sobrement réagi le même John Kirby, avant de rappeler les "succès" des Kurdes contre l'EI.

La tranquille inflexibilité américaine a fait sortir M. Erdogan de ses gonds.

"Est-ce que vous êtes de notre côté ou du côté de cette organisation terroriste ?", a-t-il fulminé mercredi. "Il est très triste de voir que le PYD est sous la protection de pays que nous considérons comme des alliés. Ils laissent ces tueurs se déplacer librement en Europe", a pesté l'homme fort de la Turquie.

Soutenus par les Américains, les Kurdes de Syrie le sont aussi par les Russes, qui appuient le régime de Bachar al-Assad et sont à couteau tiré avec Ankara depuis la destruction d'un bombardier russe par l'aviation turque en novembre.

Symboliquement, une délégation de Kurdes syriens a ouvert mercredi un bureau de représentation à Moscou.

Les Turcs redoutent que ce double soutien ne permette aux Kurdes syriens, qui occupent déjà une grande partie de l'extrême nord de la Syrie, d'étendre encore leur influence vers l'ouest. Et de contrôler ainsi la quasi-totalité de la zone frontalière de la Turquie

A plusieurs reprises, M. Erdogan comme son Premier ministre Ahmet Davutoglu, ont averti que l'Euphrate constituait pour eux une "ligne rouge" et qu'ils interviendraient pour empêcher le PYD de franchir ce fleuve.

"Un projet multinational dont le PYD est le coeur est mis en place", a affirmé mercredi l'éditorialiste Ibrahim Karagül dans les colonnes du quotidien Yeni Safak très proche du pouvoir turc. "Ce partenariat serait-il bâti contre la Turquie ?", a-t-il demandé.

"On ne sait pas encore si les Américains utiliseront les Kurdes syriens pour des intérêts tactiques immédiats ou à plus long terme", a commenté à l'AFP Can Acun, analyste à la Fondation turque pour les recherches politiques, économiques et sociales (Seta).

"Si c'est la deuxième option qui l'emporte, les relations bilatérales (entre Ankara et Washington) vont davantage se crisper", a pronostiqué M. Acun.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.