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Le procès d'un naufrage dans la Manche met en lumière la "guerre de territoire" entre passeurs


Jeudi 6 novembre 2025 à 18h03

Paris, 6 nov 2025 (AFP) — Menaces, intimidations, violences... Le procès de neuf personnes pour un naufrage dans la Manche qui a coûté la vie à sept Afghans en 2023 esquisse depuis le début de semaine la "guerre de territoire" à l'oeuvre entre les passeurs sur le littoral français.

Parmi les prévenus poursuivis pour homicides involontaires, mise en danger d'autrui, ou encore aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers, deux Kurdes irakiens, présents dans le box des accusés du tribunal correctionnel à Paris, sont soupçonnés d'être les organisateurs principaux à l'origine du drame.

Le réseau qui organise les traversées vers le Royaume-Uni, "dirigé par la communauté irako-kurde", fait prospérer cette activité en faisant usage "de violences, y compris avec arme", selon l'ordonnance de renvoi des deux juges chargées de l'instruction.

Physique massif, veste kaki, l'un des deux Kurdes irakiens, Idriss K., 45 ans, a nié en bloc toute implication.

L'homme a déjà purgé plusieurs peines pour une activité de passeur, onze ans de détention au total, et faisait l'objet depuis 2020 d'une interdiction du territoire français de 10 ans.

"C'est vrai que dans une autre vie j'ai été passeur. Mais j'ai été condamné et j'ai arrêté", a-t-il juré à la barre.

- "Balle dans la tête"

La présidente, elle, a souligné la "guerre de territoire" avec des réseaux de passeurs concurrents qu'il est soupçonné de mener sur les plages du littoral français, sur la base d'écoutes téléphoniques, de balisages et de sonorisations de son SUV de luxe par les autorités judiciaires allemandes, qui enquêtaient sur son activité bien avant le naufrage.

"Hier, tu es venu à mon point d'embarquement. Ne viens pas là-bas", écrit-il par exemple à un correspondant qui lui assure ne pas organiser ces traversées à Calais mais à Gravelines (Hauts-de-France), autre lieu de départ connu pour ces traversées.

"Si j'ai été dans tes frontières, je m'excuse", lui répond cet interlocuteur.

"Vous considérez cette plage comme la vôtre", a observé la présidente.

Dans un échange avec un autre interlocuteur, accompagné d'une bordée d'injures, Idriss K. menace: "Tu joues beaucoup. Hier tu as envoyé un zodiac d'ici (assorti d'une géolocalisation). Si tes chauffeurs (de bateau) reviennent, je vais leur mettre une balle dans la tête".

A son ami kurde Tariq H., également dans le box des accusés, Idriss K. parle d'un concurrent iranien, avec lequel il ne parvient pas à partager des plages entre Calais et Dunkerque.

"Si on met fin au problème avec l'Iranien, on va pouvoir charger deux, trois fois par semaine", dit-il.

- Bâtons et armes sur la plage

Avant d'affirmer, quelques jours plus tard: "J'ai choppé un Iranien, je l'ai tabassé. J'ai déshabillé complètement le garçon, je lui ai fait des trucs terribles".

Tariq H. aussi nie tout de ces faits. Derrière la vitre du box, l'homme de 45 ans, tête poivre et sel baissée, évoque jeudi de simples "vantardises" d'Idriss K., qu'il a connu en Irak du temps où ce dernier était "policier".

Les méthodes musclées pour mener à bien les traversées irrégulières par small boats, qui ont explosé depuis 2018, ont aussi été confirmées dès l'ouverture du procès par un rescapé soudanais et pilote présumé du bateau.

"Ils nous ont dit +vous allez tous monter, celui qui ne monte pas, on va le tuer+. Ils avaient des bâtons et des armes à feu", s'est souvenu, en larmes, Ibrahim A., 31 ans, qui était certain au vu de l'état du pneumatique que celui-ci ne "tiendrait pas".

Deux heures après sa mise à l'eau, dans la nuit du 11 au 12 août 2023, l'embarcation de fortune a chaviré, faisant sept morts et une soixantaine de naufragés afghans.

Le procès doit durer jusqu'au 18 novembre.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.