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Le cinéma turc tente de dépassionner la question kurde


Vendredi 18 decembre 2009 à 06h52

ISTANBUL, 18 déc 2009 (AFP) — Violences dans les villes, combats dans les montagnes, processus de dialogue en panne... Alors que les tensions s'exacerbent en Turquie autour de la question kurde, deux films font le pari inédit d'une approche dépassionnée pour aborder ce sujet brûlant. Un succès, à en croire le nombre d'entrées.

Avec pas moins de 2,4 millions d'entrées en deux mois, "Nefes: Vatan sagolsun" (Le Souffle: Vive la Patrie), réalisé par un cinéaste jusque-là inconnu, est en troisième place du box office turc 2009, loin devant des blockbusters américains comme 2012 (1,37 million) ou Harry Potter VI (640.000).

Plus étonnant, ce film de guerre relatant la vie d'une garnison de montagne dans le sud-est de la Turquie au début des années 1990, alors que le conflit sanglant battait son plein entre l'armée et les rebelles kurdes, a su séduire des publics inconciliables: les militaires et les pacifistes.

Le chef d'Etat major des armées, le général Ilker Basbug, a ainsi rendu hommage à "l'un des plus beaux films jamais tournés sur la lutte contre le terrorisme", tandis que le très antimilitariste quotidien Taraf saluait une oeuvre qui "oppose à la guerre la beauté de la vie".

La force de "Nefes" tient à son réalisme, qui déserte les clichés du militaire imperméable à la douleur pour décrire l'attente, l'angoisse d'hommes jeunes et fragiles, leur nostalgie des jours heureux ou leur mort sans gloire. "Ma patrie, c'est toi", murmure un soldat en pensant à sa bien-aimée.

"La guerre n'est pas idéalisée, rien n'est anobli", commente le critique de cinéma Attila Dorsay, évoquant "le premier film vraiment anti-guerre du cinéma turc".

"Les gens sont allés voir ce qui est arrivé à leurs enfants, leurs cousins, leurs parents. Ils ont été directement touchés par ce film", ajoute M. Dorsay.

Réalisé par deux étudiants en cinéma d'Ankara, "Iki dil bir bavul" (Deux langues, une valise) joue dans une autre catégorie, celle du documentaire, pour laquelle son score de 78.000 entrées en huit semaines constitue également une réussite.

Les réalisateurs ont suivi pendant un an un jeune enseignant affecté pour son premier poste dans une école de village kurde, où aucun élève ne parle turc, et ses efforts peu concluants pour leur enseigner cette langue.

"Après deux mois, Emre (l'instituteur, ndlr) s'est refermé sur lui-même, il s'est isolé du village et du reste du monde (...) On a constaté qu'il devenait de plus en plus nationaliste", se souvient Özgür Dogan, coréalisateur.

"Il y a dans cette classe un problème dont les enfants aussi bien que le maître sont les victimes. Nous pensons que le problème kurde commence dans cette classe", affirme-t-il.

La sortie des deux films a coïncidé avec l'annonce par le gouvernement d'un plan de réformes pour accorder plus de droits aux Kurdes, laissant espérer une issue au conflit qui a fait quelque 45.000 morts depuis 1984.

Les tensions ont cependant repris depuis deux semaines dans le sud-est anatolien, peuplé en majorité de Kurdes, notamment après la récente dissolution par la justice du principal parti pro-kurde du pays. Trois manifestants ont été tués lors de heurts, et les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ont revendiqué une attaque qui a coûté la vie à sept soldats.

Pour Özgür Dogan, le combat pour l'objectivité n'est pourtant pas vain.

"Il serait présomptueux de penser qu'un film peut changer les choses", affirme-t-il. Mais "quand on essaye de comprendre les deux (parties), les gens laissent tomber leurs préjugés et leurs considérations politiques. Ils sont alors capables d'empathie."

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.