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La Turquie lance son offensive contre les forces kurdes en Syrie


Mercredi 9 octobre 2019 à 20h04

Ras al-Ain (Syrie), 9 oct 2019 (AFP) — Premières salves de bombardements, et premières victimes: la Turquie a lancé mercredi, comme elle s'y était engagée, son offensive contre les forces kurdes du nord-est de la Syrie, alliées des Occidentaux dans la lutte antijihadistes, faisant fi des mises en garde internationales.

Le président américain Donald Trump a estimé que l'opération d'Ankara était "une mauvaise idée". En début de semaine, c'est pourtant le retrait des troupes américaines de secteurs frontaliers en Syrie et les déclarations contradictoires de la Maison blanche qui ont ouvert la voie à l'offensive.

Mercredi, des régions voisines de la Turquie, notamment les zones de Tal Abyad et de Ras al-Aïn, ont été bombardées par l'aviation et l'artillerie turques, une offensive annoncée par le président turc Recep Tayyip Erdogan dont l'objectif est d'éloigner de la frontière la puissante milice kurde syrienne des Unités de protection du peuple (YPG).

Les forces kurdes ont annoncé la mort de deux "civils", tandis que des "milliers de déplacés" ont fui les zones bombardées, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH).

L'offensive a provoqué un tollé international. Le Conseil de sécurité de l'ONU se réunira en urgence jeudi.

A Ras al-Aïn, un correspondant de l'AFP a entendu une forte explosion et vu s'élever de la fumée tout près de la frontière, ajoutant que des avions survolaient le secteur.

Il a fait état de tirs d'artillerie visant en continu la ville et provoquant la fuite de dizaines de civils à bord de motos et voitures, partant même à pied, tirant leurs valises et des sacs de voyage bourrés d'affaires.

Equipés de lance-roquettes, des combattants des Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance de combattants kurdes et arabes dominée par les YPG, se sont déployés dans la ville, selon le correspondant.

- "Mobilisation générale" -

Les médias turcs ont rapporté que 8 projectiles tirés par les YPG étaient tombés sur les villes turques frontalières d'Akçakale et de Nusaybin, sans faire état de victime.

L'offensive de la Turquie est la troisième en Syrie depuis 2016. Elle ouvre un nouveau front dans un conflit qui a fait plus de 370.000 morts et des millions de déplacés depuis 2011.

"Les Forces armées turques et l'Armée nationale syrienne (des rebelles syriens soutenus par Ankara, NDLR) ont débuté l'opération +Source de paix+ dans le nord de la Syrie", a annoncé M. Erdogan sur Twitter.

L'opération doit permettre la création d'une "zone de sécurité" destinée à séparer la frontière turque des positions kurdes et accueillir des réfugiés, a-t-il dit. Le ministère turc de la Défense a assuré que tout était fait pour éviter les pertes civiles.

Alliées aux Occidentaux dans la lutte contre le groupe Etat islamique (EI), les YPG sont considérées par Ankara comme une organisation "terroriste", pour leurs liens avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK).

"Ce matin, la Turquie, membre de l'Otan, a envahi la Syrie. Les Etats-Unis ne soutiennent pas cette attaque et ont clairement indiqué à la Turquie que cette opération était une mauvaise idée", a souligné M. Trump dans un bref communiqué.

Il avait pourtant paru donner son feu vert à une telle opération, avant de nuancer ses propos et d'assurer que Washington n'avait "pas abandonné les Kurdes".

Quelques heures avant le début de l'offensive, les Kurdes de Syrie, confrontés aux atermoiements de leur allié américain, avaient décrété une "mobilisation générale", tout en appelant Moscou à intervenir pour faciliter un dialogue avec Damas.

- "Priez pour nos alliés" -

Le déclenchement de l'offensive a été fermement condamné par plusieurs pays qui craignent un chaos susceptible d'ouvrir la voie à un retour en force de l'EI, et qui fait planer l'incertitude sur le sort des jihadistes prisonniers des YPG.

Le porte-parole de M. Erdogan, Ibrahim Kalin, a appelé les pays européens à "reprendre" leurs ressortissants ayant intégré l'EI et aujourd'hui détenus par les forces kurdes.

Paris a "très fermement" condamné l'incursion turque. Le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a exigé l'arrêt de l'offensive, pendant que l'Allemagne a estimé que l'opération risquait "de provoquer une résurgence" de l'EI.

Aux Etats-Unis, un poids lourd des Républicains et proche de M. Trump, Lindsey Graham, a vivement dénoncé l'opération d'Ankara.

"Priez pour nos alliés kurdes qui ont été honteusement abandonnés", a-t-il écrit sur Twitter. "Je vais mener les efforts aux Congrès pour qu'Erdogan paie très cher".

Avant le déclenchement de l'offensive, le président russe Vladimir Poutine avait appelé M. Erdogan à "bien réfléchir". L'Egypte a pour sa part condamné une "attaque inacceptable".

Amnesty international a souligné qu'"à la fois les forces turques et kurdes" avaient, "dans le passé, mené des attaques aveugles en Syrie" ayant "fait de nombreuses victimes parmi les civils".

L'ONG a exhorté à faire en sorte que "cela ne se reproduise pas".

Le pouvoir de Bachar al-Assad s'est engagé à "contrecarrer toute agression" de la Turquie, se disant prêt à "accueillir dans son giron" la minorité kurde.

Longtemps marginalisés et victimes des discriminations du pouvoir central, les Kurdes ont réussi à instaurer une autonomie de facto à la faveur du conflit qui ravage la Syrie depuis 2011.

Au moins 18.000 combattants syriens supplétifs d'Ankara ont été mobilisés pour participer à l'offensive, a affirmé mercredi un de leurs porte-parole.

Ces combattants appartiennent à des factions regroupées au sein de l'Armée nationale syrienne (ANS), une coalition de groupes armés, financés et entraînés par Ankara.

bur-gkg/ezz/tgg/all

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.