Mardi 6 mai 2025 à 18h10
Istanbul, 6 mai 2025 (AFP) — Les tensions se sont accumulées récemment entre la Turquie et Israël sur le sol syrien après des mois d'escalade verbale à propos de Gaza, les deux pays s'activant avec des visées contraires chez leur voisin.
A peine six mois après la chute de Bachar el-Assad, seul un mécanisme de coexistence et la pression américaine permettraient d'éviter une confrontation potentiellement explosive entre les deux pays, préviennent les analystes.
Selon les médias turcs, la chasse turque a montré les dents la semaine dernière après une série de frappes israéliennes sur Damas et Idleb (nord-ouest), l'ex-fief rebelle du désormais président syrien par intérim Ahmad al-Charreh.
Les F-16 turcs ont fait demi-tour avant tout incident mais l'épisode, démenti par Israël, illustre la nervosité de chacun sur le territoire syrien.
La Turquie et Israël s'étaient rapproché juste avant les massacres du Hamas, le 7 octobre 2023 et la riposte armée d'Israël sur Gaza.
Ankara, proche du mouvement islamiste palestinien, s'inscrit en soutien des nouveaux maîtres de Damas et maintient plusieurs milliers d'hommes sur leur sol: deux raisons de friction avec le gouvernement israélien.
"Israël veut s'assurer que la Syrie ne constituera pas une menace militaire et tente d'affaiblir son gouvernement tandis que la Turquie veut une direction centralisée, qui affirme son contrôle et sa souveraineté", résume Soli Ozel, professeur de Relations internationales et associé à l'Institut Montaigne, à Paris.
"Avec des objectifs aussi contraires, le conflit est presque inévitable. C'est comme si on attendait que l'accident se produise", indique-t-il à l'AFP.
Les autorités turques ont montré une irritation croissante face aux frappes israéliennes, officiellement destinées à protéger la minorité druze de Syrie mais qui constituent pour Ankara une menace à la stabilité régionale.
"Israël tente de dynamiter la révolution du 8 décembre en attisant les tensions ethniques et religieuses et en dressant les minorités de Syrie contre le gouvernement" accusait le mois dernier le président turc Recep Tayyip Erdogan.
- objectifs contraires -
"La Turquie veut un État syrien centralisé (après) l'éclatement des pouvoirs sur ses frontières sud, en Syrie comme en Irak", relève Soner Cagaptay, du Washington Institute pour le Proche-Orient.
"Le groupe État islamique, le PKK (parti armé kurde) et d'autres ont profité du vide du pouvoir pour mener des attaques contre la Turquie", rappelle-t-il.
La stabilité est par ailleurs indispensable au retour de près de trois millions de réfugiés syriens toujours présents en Turquie.
Israël de son côté préfèrerait une Syrie affaiblie et divisée plutôt qu'un pouvoir consolidé, dirigé par un ancien combattant islamiste qui pourrait se retourner contre lui, poursuit M. Cagaptay, affirmant qu'Israël craint des attaques similaires à celles du 7 octobre qui viendraient de Syrie.
Pour le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qualifié de "génocidaire" par M. Erdogan, une présence militaire turque renforcée chez son voisin constitue aussi une menace.
"Nous ne voulons pas que la Syrie soit utilisée par qui que ce soit, Turquie comprise, comme base arrière contre Israël", a-t-il prévenu le mois dernier.
Des frappes israéliennes ont visé deux bases militaires suspectées de devoir abriter des positions turques dans le centre de la Syrie, selon une source syrienne à l'AFP.
"À ce stade, seul (Donald) Trump peut imposer une détente", affirme Soner Cagaptay, le président américain se targuant de bonnes relations avec MM. Erdogan et Netanyahu.
- discussions à Bakou -
Sous la pression des Etats-Unis, les deux parties se sont retrouvées à Bakou en vue d'établir un mécanisme de désescalade.
M. Netanyahu devrait rencontrer le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev prochainement et évoquera sans doute la question, avance Gallia Lindenstrauss, de l'Institut d'études de sécurité nationale (INSS).
"Leur lancée est inquiétante, mais ça ne signifie pas que les parties ne peuvent pas encore freiner", explique-t-elle à l'AFP, rappelant qu'un tel mécanisme avec la Russie pendant la guerre civile en Syrie "a très bien fonctionné".
"Ce qui est plus compliqué cette fois, c'est que la Turquie est beaucoup plus ambitieuse en Syrie que la Russie ne l'a jamais été, avec de grands projets tant économiques qu'énergétiques et sécuritaires. L'avantage d'Israël est qu'il ne s'agit que de sécurité".
"Une fois ces préoccupations réglées, Israël pourra être raisonné" parie-t-elle.
Au plus fort de la guerre en Syrie, en 2015, rappelle Aron Lund, du think tank Century International, la Russie avait négocié un accord avec Israël disant "en substance que l'aviation israélienne pouvait continuer à frapper des cibles liées à l'Iran et au Hezbollah, tant qu'elle ne portait pas atteinte au personnel russe ni ne remettait en cause le pouvoir d'Assad".
"Hormis quelques tensions, ça avait plutôt bien fonctionné", affirme-t-il.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.