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La campagne de Raqa a valorisé le rôle des Kurdes syriens


Mercredi 7 juin 2017 à 10h19

Beyrouth, 7 juin 2017 (AFP) — Autrefois maltraités par le régime, les Kurdes en Syrie ont réussi en six ans de guerre à contrôler une partie du territoire et sont choyés aujourd'hui par les Etats-Unis pour conquérir Raqa, bastion du groupe jihadiste Etat islamique (EI).

La chance leur a souri après avec la décision de leurs dirigeants de se tenir à l'écart des manifestations pacifiques de mars 2011 réclamant des réformes et rapidement réprimées dans le sang par le régime de Bachar al-Assad.

Leur non-engagement dans la révolte antirégime a fait enrager l'opposition mais a favorisé mi-2012 le retrait de l'armée des régions à majorité kurde du nord-est, vers des fronts en ébullition.

Les Kurdes, devenus au fil des ans le fer de lance de la lutte anti-EI, contrôlent la majorité de la province de Hassaké, une partie de celle de Raqa et une partie de celle d'Alep. Ils y ont installé une administration autonome, développé des institutions politiques et sécuritaires et formé trois "cantons".

La décision de la direction kurde "de limiter ses ambitions" et son "modus vivendi" avec le régime dont elle ne réclame pas la chute, lui ont permis d'asseoir son pouvoir, note Sam Heller, expert sur la Syrie à la Century Foundation.

Mais les gains engrangés demeurent aléatoires, notent les experts, car cette communauté ne bénéficie que d'un parrainage de circonstance et sa direction politique est honnie par le voisin turc.

"Les Kurdes parient que la capture de Raqa leur apportera un soutien international à long terme pour leur permettre ainsi de bâtir Rojava", le nom kurde donné au territoire à majorité kurde dans le nord syrien, assure Fabrice Balanche, un expert de la Syrie au Washington Institute.

- Allié clé des Etats-Unis -

Le puissant Parti démocratique kurde (PYD) et son bras armé des Unités de protection du peuple kurde (YPG) sont devenus de fait le gouvernement et les forces de sécurité dans la "Rojava".

Initialement, l'action des YPG se limitait à assurer la sécurité localement mais son rôle a changé en juin 2014 avec la proclamation par l'EI d'un "califat" sur les territoires conquis en Syrie et en Irak voisin.

Avec un "commandement militaire compétent" et une "hostilité résolue aux jihadistes", les YPG se sont affirmées comme une pièce essentielle pour la coalition internationale conduite par les Etats-Unis dans son combat contre l'EI, souligne Sam Heller.

Cette alliance a permis une série de victoires contre les jihadistes en commençant par la ville kurde de Kobané en janvier 2015, sur laquelle l'EI s'est cassé les dents.

Mais certains opposants n'ont pas pardonné aux Kurdes leur absence dans le soulèvement contre le régime. Et leur expansion à des zones à majorité arabe du Nord a suscité des tensions ethniques.

De plus, leur puissance militaire croissante a suscité la fureur de la Turquie qui accuse les YPG d'être affiliées aux séparatistes kurdes turcs qu'elle combat depuis des décennies et considère comme des "terroristes".

La Turquie a mené pendant sept mois (août- 2016-mars 2017) une opération dans le nord syrien contre l'EI et les combattants kurdes.

En octobre 2015, pour calmer les tensions suscitées par l'influence grandissante des YPG, a été annoncée la formation des Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition de combattants kurdes et arabes.

Mais cette alliance "demeure en réalité sous le commandement des YPG et est entièrement tributaire des combattants kurdes qui en forment la colonne vertébrale", assure l'International Crisis Group (ICG).

- Gains risqués -

Avec la création des FDS, Washington a accéléré son appui militaire, en prétextant que l'équipement était livré à la composante arabe de l'alliance.

En novembre 2016, les FDS ont lancé l'offensive pour capturer Raqa, "capitale" de facto de l'EI en Syrie. Ankara a espéré en vain convaincre l'administration américaine de trouver une force alternative pour s'emparer de cette ville majoritairement arabe.

Mais les espoirs turcs ont été douchés. Washington a même commencé à livrer des armes directement aux YPG, au grand dam d'Ankara.

Les experts estiment néanmoins que les gains des YPG ne sont pas immuables.

"Pour le moment, le soutien américain aux YPG leur procure une certaine protection", assure Noah Bonsey, un analyste d'ICG, estimant cependant que "rien ne garantit" que ce soutien sera "permanent et durera plus longtemps que la campagne actuelle" de Raqa.

D'autres défis se profilent, notamment l'éventualité que le régime Assad cherche à rétablir son contrôle sur les régions à majorité kurde.

La direction kurde va devoir "montrer sa disposition à des compromis stratégiques, en réduisant certaines de ses ambitions pour préserver ses acquis", note Noah Bonsey. "Si elle réussit, elle pourra préserver une grande partie de ce qu'elle a engrangé".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.