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La Berlinale célèbre des cinéastes iraniens interdits de voyager


Vendredi 16 février 2024 à 12h09

Berlin, 16 fév 2024 (AFP) — Un soir à l'abri des regards, une septuagénaire séduit un retraité, et le conduit chez elle : deux réalisateurs iraniens, empêchés de voyager par Téhéran, brisent de nombreux tabous dans leur film, présenté vendredi en compétition à Berlin.

Les réalisateurs de "My Favourite Cake" ("Mon gâteau préféré", ndlr), Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha, n'ont pas pu faire le déplacement au Festival international du film pour défendre leur long métrage.

Ils avaient déjà présenté à Berlin leur précédent film ("Le Pardon", 2021), interdit en Iran.

"Ils ne peuvent pas voyager, ils vont bien mais ils sont chez eux", a indiqué jeudi lors de la cérémonie d'ouverture, le co-directeur de la Berlinale, Carlo Chatrian.

"Cela nous rappelle que faire des films n'est pas toujours facile, notre coeur est avec eux", a-t-il ajouté.

Célébré dans les festivals internationaux, le cinéma iranien est en même temps soumis à un contrôle étroit du régime, et ses plus grands réalisateurs, qui bravent la censure, sont régulièrement victimes de la répression.

La Berlinale, connue pour ses engagements politiques, a une longue tradition de soutien des cinéastes iraniens dissidents. Le festival a attribué l'Ours d'or à plusieurs d'entre eux comme Asghar Farhadi ("Une séparation"), Jafar Panahi ("Taxi") et Mohammad Rasoulof ("Le diable n'existe pas").

A ces cinéastes dans le collimateur des autorités s'ajoutent désormais Maryam Moghaddam, 54 ans, et Behtash Sanaeeha, 43 ans, qui se sont vus "confisquer leurs passeports", les empêchant de voyager, et sont "poursuivis par la justice pour leur travail d'artistes et de cinéastes", a déploré la Berlinale.

Les forces de l'ordre "ont fait une descente chez notre producteur et ils ont emporté tous les disques durs et les ordinateurs du projet", a témoigné auprès de l'AFP, par visioconférence, Behtash Sanaeeha dans une interview commune avec Maryam Moghaddam.

"Ensuite, quand nous avons voulu quitter Téhéran pour Paris, pour terminer la post-production, ils nous ont pris nos passeports à l'aéroport", a-t-il ajouté.

- "Lignes rouges" -

Les autorités n'ont toutefois pas pu empêcher que le film soit mené à son terme, et projeté à Berlin, où il est en lice pour l'Ours d'or. Dans ce drame intimiste, tourné à l'économie, on suit le parcours de Mahin, une veuve de 70 ans, dont la fille a émigré.

Mahin passe le temps en cuisinant pour son groupe d'amies, mais n'a pas oublié la liberté de sa jeunesse, avant la République islamique. Dans un restaurant, elle rencontre un autre retraité, chauffeur de taxi.

Ces âmes esseulées se plaisent, rentrent chez elle. A l'abri des regards des voisins, ils passent des disques, dansent, boivent du vin de contrebande. Elle le séduit, prend les devants. Lui se laisse faire.

Le film "franchit tellement de lignes rouges (sur des choses) qui sont interdites en Iran depuis 45 ans", reconnaît Maryam Moghaddam. "C'est l'histoire d'une femme qui vit sa vie, qui veut avoir une vie normale, ce qui est interdit pour les femmes en Iran".

D'autant que l'actrice, Lili Farhadpour, joue sans voile. "Montrer une femme sans voile est interdit. Mais la plupart des femmes, même religieuses, ne portent pas le voile à la maison", explique cependant Maryam Moghaddam.

"Boire de l'alcool, danser ou rencontrer un partenaire, tout cela arrive en Iran. Mais à l'intérieur, derrière les murs, parce que c'est interdit à l'extérieur. Nous voulions être fidèles à la réalité et le montrer".

Le film était en préparation lors du vaste mouvement de contestation qui a secoué l'Iran après la mort en septembre 2022 de Mahsa Amini, une jeune Kurde de 22 ans décédée après avoir été arrêtée pour non-respect du strict code vestimentaire du pays.

"Nous étions déprimés à propos de ce qu'il se passait dans notre pays", relève Behtash Sanaeeha. "Le film parle des femmes, de la vie et de la liberté. Donc c'était notre devoir de le mener à bien".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.