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L'identité au coeur du conflit entre les Turcs et les Kurdes


Vendredi 22 mars 2013 à 13h43

ANKARA, 22 mars 2013 (AFP) — Les discussions de paix entre le gouvernement turc et le rebelle kurde Abdullah Öcalan, qui a appelé jeudi la rébellion à un cessez-le-feu unilatéral, ont reposé l'épineuse question des droits de la minorité kurde du pays, qui revendique haut et fort ses différences.

Même le chef historique du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ne l'a pas explicitement demandé dans son message lu à Diyarbakir (sud-est), les 12 à 15 millions de Kurdes de Turquie, soit 20% de ses 75 millions d'habitants, attendent désormais la reconnaissance officielle de leurs particularités.

"Politiquement, le temps est venu pour la Turquie d'entrer dans une ère politique moderne et d'accorder à +ses+ Kurdes l'égalité des droits", juge Hugh Pope, de l'International Crisis Group (ICG), "ce sont ces réformes qui vont pour l'essentiel déterminer l'issue du processus de paix en cours".

Depuis 2002, le gouvernement islamo-conservateur turc a fait plusieurs gestes en direction des Kurdes: cours en langue kurde dans les écoles privées, chaîne de télévision publique en kurde ou droit de se défendre en kurde devant un tribunal.

C'est désormais la réforme en cours de la Constitution qui concentre toute les attentes. Dans son article 66, la loi fondamentale votée deux ans après le coup d'Etat militaire de 1980 stipule que toute personne qui dispose de la citoyenneté turque, quelle que soit son origine, est considérée d'office comme un "Turc".

Le premier pas, et la première difficulté, du nettoyage constitutionnel consiste à redéfinir la citoyenneté turque et la notion très controversée de "turquicité".

La Turquie refuse depuis longtemps de reconnaître la spécificité kurde, une population sunnite et musulmane pourtant considéré comme cofondatrice de la république née en 1923 des ruines de l'empire ottoman.

Malgré les récentes avancées, les Kurdes n'ont toujours pas droit à une éducation publique dans leur langue et leurs enfants sont contraints de réciter le serment d'allégeance qui se conclut par "heureux celui qui se considère lui-même comme un Turc", une citation du fondateur de la République Mustafa Kemal Atatürk.

Discrimination

Pour Hugh Pope, cette disposition constitue ni plus ni moins qu'une "discrimination ethnique", qui nie les spécificités du peuple kurde.

Au pouvoir depuis 2002, le gouvernement islamo-conservateur du Parti de la justice et du développement (AKP) semble disposé à abandonner la notion très stricte de "Turc" au profit d'une définition plus souple du "citoyen turc".

"La coexistence des différences est une liberté que nous devons préserver", a déclaré le mois dernier le vice-Premier ministre Bülent Arinç, "mais nous ne pouvons accepter que tout le monde soit contraint d'être turc de dire +je suis Turc+".

Après avoir longtemps milité pour un Etat kurde indépendant, Abdullah Öcalan défend désormais une large autonomie pour la minorité kurde, dans la Turquie. Lui aussi rejette toute lecture ethnique de la nationalité. "Nous sommes liés à l'Etat, pas à la nationalité turque", a-t-il dit aux députés qui lui ont récemment rendu visite dans sa prison.

A l'inverse, le parti ultranationaliste MHP s'oppose catégoriquement à toute suppression de la définition du Turc inscrite dans la loi fondamentale.

Et le Parti républicain du peuple (CHP), héritier d'Atatürk, apparaît très divisé sur la question. En janvier dernier , la députée Birgul Ayman Guler s'est attirée les foudres d'une partie de ses collègues, en affirmant publiquement que "la nation turque ne peut pas être l'égale de la nation kurde".

Mais ceux qui pensent que la Constitution actuelle n'est pas discriminatoire sont encore nombreux en Turquie.

"Notre définition du Turc désigne à la fois la Nation et les membres de cette Nation plutôt qu'une ethnie", juge l'ancien ministre de la Défense et de la Justice, Hikmet Sami Turk. "Nous sommes aujourd'hui gênés de dire qui nous sommes", déplore-t-il, "je ne peux imaginer une nation sans identité, ce serait une trahison".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.