Jeudi 12 decembre 2024 à 05h03
Londres, 12 déc 2024 (AFP) — Pris de court par la chute de Bachar al-Assad en Syrie, les gouvernements européens sont dans l'expectative sur le positionnement à adopter face à la coalition de rebelles islamistes désormais au pouvoir, partagés entre l'inquiétude et "un optimisme prudent".
Depuis dimanche, ils ont unanimement salué le renversement du président syrien après 24 ans d'un règne sans partage, dont 14 marqués par une guerre civile sanglante.
Mais le profil du groupe à la tête du nouveau pouvoir, Hayat Tahrir al-Sham (HTS), ancienne branche syrienne d'Al-Qaïda et classé "organisation terroriste" par plusieurs pays occidentaux, suscite aussi des craintes.
Pour tenter d'avancer sur une ligne commune à adopter face à ces nouvelles autorités, les pays du G7 ont prévu de se rencontrer virtuellement vendredi.
Les gouvernements européens n'ont, à ce stade, "pas vraiment de réponse" si ce n'est "d'attendre et de voir", souligne auprès de l'AFP Urban Coningham, chercheur associé à l'institut Royal United Services (RUSI) de Londres.
Les rebelles ont annoncé mardi soir la nomination d'un Premier ministre chargé de la transition dans le pays, Mohammad al-Bachir.
- "Trop tôt pour baisser la garde" -
Le groupe HTS affirme avoir rompu avec le jihadisme, mais les craintes de voir se répéter un scénario comparable à celui de l'Afghanistan, où les talibans imposent une interprétation ultra rigoriste de la charia (loi islamique) restent dans les esprits.
Jusqu'ici, les rebelles islamistes et leur leader Abou Mouhammad al-Jolani "ont fait tout ce qu'il fallait en parlant de la nécessité d'un gouvernement pragmatique et inclusif", note toutefois Urban Coningham.
Un "optimisme prudent" est à ce stade le sentiment dominant en Europe, selon lui.
Même tonalité chez le chercheur au centre de réflexion Chatham House, Bader Mousa Al-Saif, qui rappelle qu'après la prise de la ville d'Alep, les populations chrétiennes n'ont pas été persécutées.
Dans le quotidien italien Corriere della Sera, le chef du gouvernement transitoire a réitéré son engagement à "garantir" les droits des minorités dans ce pays où habitent sunnites, alaouites, chrétiens, druzes ou encore Kurdes.
Au Royaume-Uni, le gouvernement du travailliste Keir Starmer, ancien avocat des droits humains, n'exclut pas le dialogue : "le fait que HTS soit un groupe terroriste interdit n'empêche pas le gouvernement d'engager des discussions avec lui à l'avenir", a affirmé le porte-parole du Premier ministre britannique.
Le président français Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz se sont dits, de leur côté, "prêts à coopérer avec les nouveaux dirigeants syriens" sous certaines conditions.
Selon une source diplomatique européenne, certains pays ont d'ores et déjà "bâti des canaux de communication indirects avec HTS" qui "s'est transformé d'un mouvement djihadiste mondial en mouvement islamiste-national". Et d'ajouter qu'il est "encore beaucoup trop tôt" pour baisser la garde.
Pour l'ONU, "le test le plus important" sera la mise en oeuvre de la transition, a averti mardi son émissaire pour la Syrie, Geir Pedersen.
- Éviter le chaos -
Restent les défis sécuritaires et migratoires.
La Syrie post-Assad peut représenter une opportunité pour les jihadistes du groupe Etat islamique (EI) qui pourraient profiter d'un éventuel chaos ou d'une division des factions rebelles pour reconquérir des territoires perdus.
Une situation d'autant plus périlleuse qu'il y a "beaucoup d'armes en Syrie, dont certaines sont des armes chimiques", rappelle Urban Coningham.
Il y a aussi la question des camps de prisonniers surpeuplés établis en zone kurde (nord-est du pays) où se trouvent des dizaines de milliers de combattants de l'EI avec femmes et enfants, dont certains sont des ressortissants européens.
"Le risque est que l'EI libère les prisonniers", estime le chercheur. Les services de renseignement du Royaume-Uni sont en alerte face à cette éventualité.
La "stabilité de la Syrie est dans l'intérêt des Européens", souligne Julien Barnes-Dacey, du Conseil européen pour les relations internationales (ECFR), évoquant notamment une possible nouvelle vague migratoire si le pays venait à sombrer dans le chaos.
Du côté américain, les responsables mettent pour le moment en sourdine le fait que HTS est classé comme organisation "terroriste" et disent vouloir juger "sur pièce" en soulignant qu'à ce stade le groupe "emploie les bons mots".
Le chef de la diplomatie Antony Blinken, qui aura jeudi en Jordanie et vendredi en Turquie des entretiens sur la Syrie, a appelé "à une transition inclusive (...) vers un gouvernement responsable et représentatif".
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.