Mardi 11 mars 2025 à 16h32
Beyrouth (Liban), 11 mars 2025 (AFP) — L'accord entre Damas et les Kurdes permet au nouveau pouvoir en Syrie d'étendre son autorité sur le territoire et les ressources du nord-est, et aux Kurdes de conserver leurs forces dans le cadre de la future armée et de voir leurs droits nationaux enfin reconnus.
Signé lundi soir par le président intérimaire, Ahmad al-Chareh, et le chef des Forces démocratiques syriennes (FDS), Mazloum Abdi, l'accord sert les intérêts des deux parties dans le pays engagé dans une transition délicate, estiment des analystes.
Quels sont les principaux points de cet accord en huit points, dont le mécanisme d'application doit encore décidé, et qui doit être appliqué d'ici la fin de l'année?
- Que prévoit l'accord ? -
Le texte prévoit "l'intégration de toutes les institutions civiles et militaires du nord-est de la Syrie au sein de l'administration de l'Etat syrien, y compris les postes-frontières, l'aéroport ainsi que les champs pétroliers et gaziers".
L'administration autonome kurde, dont les FDS sont le bras armé, contrôle de vastes territoires dans le nord et l'est de la Syrie, riches en blé, pétrole et gaz.
En revanche, le texte ne mentionne pas la dissolution des FDS, soutenues par les Etats-Unis, ou leur dissolution.
Les FDS ont joué un rôle clé dans la lutte contre le groupe jihadiste Etat islamique, défait en Syrie en 2019.
De son côté, le pouvoir central reconnaît les Kurdes, marginalisés pendant des décennies, comme "une composante essentielle de l'Etat syrien", et garantit leurs "droits à la citoyenneté et l'ensemble de leurs droits constitutionnels".
Des responsables kurdes, notamment le chef des FDS, ont considéré l'accord comme une "opportunité historique", et des manifestations de joie ont éclaté dans les zones kurdes.
- Quel intérêt pour Damas?
L'accord est intervenu alors que des violences d'une ampleur inégalée depuis la chute de Bachar al-Assad en décembre ont secoué l'ouest de la Syrie, faisant plus de 1.000 morts parmi les civils, en majorité des Alaouites.
Cette escalade a constitué un test pour Ahmad al-Chareh, qui tente de consolider son pouvoir sur le territoire syrien, et s'était engagé à protéger les minorités et la paix civile.
Mutlu Civiroglu, un expert de la question kurde basé à Washington, estime que M. Chareh "reconnaît la nécessité de dialoguer avec les Kurdes pour renforcer sa position".
L'accord "lui permet de se présenter comme un dirigeant qui s'engage à garantir que toutes les composantes sont représentées dans l'avenir de la Syrie", explique-t-il.
Selon le spécialiste de la Syrie Fabrice Balanche, la zone contrôlée par l'administration kurde comprend 90% des champs pétroliers de la Syrie et constitue son grenier à blé.
La nouvelle armée syrienne gagne également un contingent kurde très organisé et entraîné avec lequel elle peut se coordonner face aux défis de sécurité.
Une source au sein des FDS a indiqué que des opérations conjointes allaient commencer dans les prochains jours dans le désert syrien pour traquer le groupe jihadiste Etat islamique (EI).
Le sort des prisons dirigées par les forces kurdes et abritant des milliers d'anciens jihadistes de l'EI n'est pas encore décidé. M. Abdi avait indiqué en février que les autorités de Damas voulaient les placer sous leur contrôle.
- Quels gains pour les Kurdes?
Même si l'accord ne le dit pas explicitement, il semble que les Kurdes vont pouvoir conserver leur structure militaire, ce qui était l'une de leurs principales conditions.
"Les FDS ne vont sûrement pas fusionner avec HTS", estime Fabrice Balanche, dans une référence à Hayat Tahrir al-Sham, le groupe radical islamiste que dirigeait M. Chareh avant sa prise du pouvoir.
Mais elles vont "tenter de coordonner avec eux" la lutte contre l'EI, ajoute-t-il.
L'accord a été signé sous parrainage des Etats-Unis selon une source kurde.
Il reconnaît les droits des Kurdes, qui sont la plus importante minorité ethnique en Syrie, et la plus organisée politiquement et militairement.
Désormais, les Kurdes "ne peuvent plus être mis à l'écart dans l'édification de la future Syrie", estime Mutlu Civiroglu.
Marginalisés et réprimés pendant les décennies de pouvoir du clan Assad, les Kurdes ont été privés du droit de parler leur langue, de célébrer leurs fêtes et, pour un grand nombre d'entre eux, de la nationalité syrienne.
Pendant la guerre civile déclenchée en 2011, ils ont mis en place une administration autonome avec leurs propres institutions éducatives, sociales et militaires.
Mais ils ont dû faire face à l'hostilité de la Turquie voisine, qui accusait les Unités de protection du peuple (YPG), principale composante des FDS, d'être affiliées au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, kurde turc), sa bête noire.
L'accord est intervenu près de deux semaines après un appel historique du leader du PKK, Abdullah Öcalan, à la dissolution du parti et à l'abandon de la lutte armée.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.