Mercredi 3 juillet 2024 à 08h24
Bagdad, 3 juil 2024 (AFP) — Les survivantes de violences domestiques au Kurdistan d'Irak sont confrontées à des "obstacles significatifs" quand il s'agit d'assurer leur protection, a regretté mercredi Amnesty international, soulignant l'échec des autorités à traduire en justice les agresseurs, même en cas de viols ou de féminicides.
Entre violences conjugales, mariages précoces et coercition économique, la question des droits et des libertés des femmes reste un sujet épineux en Irak, pays de 43 millions d'habitants où la société conservatrice est dominée par des conceptions patriarcales et machistes.
Au Kurdistan, région autonome du nord de l'Irak qui se veut oasis de stabilité et de modernité, "les violences basées sur le genre se perpétuent à cause d'une justice pénale qui alimente l'impunité, et un cadre de protection épuisé et sous-financé", résume l'ONG des droits humains.
Les autorités "n'arrivent pas à faire rendre des comptes aux auteurs de violences domestiques, notamment dans des cas déchirants de meurtres, de viols, de coups et d'immolation par le feu", ajoute l'organisation basée à Londres.
En 2023 le Kurdistan a connu 30 féminicides, contre 44 en 2022, selon des statistiques officielles citées par Amnesty, dans un nouveau rapport publié mercredi.
L'ONG, qui a mené 57 entretiens avec des travailleurs humanitaires, des responsables et 15 survivantes, déplore des conditions "quasi-carcérales" dans la poignée de foyers d'accueil existant. Elle réclame des financements plus importants aux services de protection des femmes.
Défi majeur pour les survivantes: "elles doivent elles-mêmes porter plainte au pénal contre leur agresseur pour qu'il y ait une enquête", souligne Amnesty.
Cette plainte est aussi indispensable "pour accéder à des services de protection, y compris aux foyers".
Or, celles qui portent plainte "sont fréquemment confrontées à des représailles, des menaces et des intimidations de la part de l'agresseur ou de la famille", pour les pousser à abandonner les poursuites, selon Amnesty.
- "Battue, poignardée" -
Amnesty dénonce un "biais" chez certains juges en faveur des hommes, visible notamment avec "des peines qui ne sont pas proportionnelles à la gravité du crime."
"Les femmes ne veulent pas aller en justice parce qu'on va leur demander +qu'as-tu fait pour qu'il te fasse ça+", selon un travailleur social cité dans le rapport.
"On ne devrait pas demander aux victimes ce qu'elles ont fait pour se faire battre, poignarder, ou tirer dessus", ajoute-t-il.
Et dans les foyers, le cauchemar est loin d'être terminé.
"La liberté de mouvement des femmes et des filles, leur accès aux téléphones et à Internet sont sévèrement restreints", déplore Amnesty, des mesures s'apparentant "à une privation arbitraire de liberté."
Les trois foyers visités par Amnesty étaient "délabrés, surpeuplés et en sous-effectifs", regrette l'ONG, rappelant qu'une survivante ne peut y entrer --et en sortir-- que sur décision d'un tribunal.
Amnesty concède toutefois des avancées législatives, avec l'adoption en 2011 d'une loi "progressive" criminalisant les violences domestiques.
Mais même ici des manquements: "les actes de violences domestiques (y compris les blessures corporelles et le viol conjugal) sont considérés comme des délits, et ne peuvent donc encourir qu'une peine maximale de trois ans de prison", souligne l'ONG.
La législation impose aussi aux femmes "un processus de réconciliation" avec leur agresseur, "avant qu'un juge ne décide s'il y a lieu ou non de renvoyer l'affaire devant un tribunal". Amnesty réclame l'abrogation de cette procédure.
L'Irak fédéral souffre aussi du fléau des violences domestiques.
Rien que pour les quatre premiers mois de l'année, plus de 13.800 plaintes pour violences domestiques ont été enregistrées, dont 73% concernaient des femmes, selon le ministère de l'Intérieur.
En 2022, la justice faisait état de près de 21.600 plaintes -- dont 80% concernaient des femmes.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.